Dimanche 17 Novembre 2024
Originaire du Nigeria et installée à Bordeaux depuis près de dix ans, Chinedu Rita Rosa est une inestimable ambassadrice du vin dans son pays natal, mais aussi vers d’autres marchés d’Afrique subsaharienne. © Lili Renée
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08.07.2024
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Originaire du Nigeria et installée à Bordeaux depuis près de dix ans, Chinedu Rita Rosa est une inestimable ambassadrice du vin dans son pays natal, mais aussi vers d’autres marchés d’Afrique subsaharienne. Entrepreneuse, femme de réseau et de conviction, elle œuvre également pour davantage d’inclusivité dans le monde du vin. Un portrait paru dans notre magazine de juin 2024.
Pays le plus peuplé du continent africain avec 220 millions d’habitants, le Nigeria s’ouvre depuis quelques années à la consommation de vin, de champagne et de spiritueux. Un marché encore émergent, qui se situait à environ 0,3 litre par habitant en 2020 mais qui progresse de façon spectaculaire, avec une augmentation des importations de + 240 % en volume et de + 90 % en valeur sur les années qui ont précédé la crise sanitaire de la Covid-19*. Avec une classe moyenne qui ne cesse de se développer, le Nigeria s’impose donc comme le nouvel Eldorado du vin en Afrique subsaharienne, entraînant d’autres pays voisins dans sa dynamique.
Chinedu Rita Rosa fait partie des figures de proue de cet essor du vin sur le sol africain. Initiée au nectar dans son environnement familial et dotée d’un palais affûté, c’est après un début de carrière dans la banque, à Lagos, qu’elle a l’opportunité d’apporter ses conseils dans l’importation de vins de qualité sur le marché nigérian. Nous sommes alors au début des années 2000, une période où la classe moyenne commence à s’étoffer : « Jusque-là, le vin n’était réservé qu’à une élite au Nigeria, mais de plus en plus de nouveaux consommateurs ont commencé à troquer leur Chivas, leur brandy ou leur bière contre un ou deux verres de vin, accompagnant un bon repas. Le champagne est arrivé lui aussi, avec notamment Laurent Perrier qui a fait partie des premiers à lancer l’engouement pour les effervescents sur ce nouveau marché », raconte-t-elle.
De fil en aiguille, Chinedu Rita Rosa contribue à acculturer tout un pan de la société nigériane aux subtilités du vin. Les détours de la vie l’amènent à vivre au Liban quelques années avant de revenir dans son pays natal en 2008. Elle ouvre l’un des premiers véritables wine shops de Lagos, proposant des vins de Bordeaux, de la vallée du Rhône, de Champagne, du cognac, de l’armagnac… Au gré de ses voyages et de ses formations, Chinedu tombe amoureuse de Bordeaux et, en 2015, persuade son mari français et ses deux petites filles de s’installer en Gironde. Bien qu’elle arrive dans ce « saint des saints » pleine d’espoir et d’énergie, elle se heurte à des portes closes. Mais renoncer facilement n’est pas dans sa nature : « Lorsque personne ne te tend la main, tu dois t’aider toi-même. » Elle fonde d’abord Bordeaux Business Network, un réseau d’expatriés qui, comme elle, se trouvent un peu perdus dans le labyrinthe bordelais. Puis en 2019 elle crée sa propre entreprise, Vines By Rosa : « Au départ, je me voyais comme une influenceuse, une ambassadrice du vin animée par l’envie de créer des passerelles entre le vignoble français et les consommateurs nigérians : pour leur conseiller de bonnes bouteilles à boire, les initier à la dégustation, aux accords mets et vins… »
Rapidement, son influence devient telle qu’elle se double d’une dimension commerciale : Chinedu fait entrer sur le marché nigérian des vins présentant de bons rapports qualité-prix, elle défend des propriétés familiales, à taille humaine, mais collabore aussi avec de grands châteaux et des maisons de négoce. « L’important pour moi est de jouer mon rôle de prescriptrice tout en gardant mon indépendance », souligne-t-elle. « Je tiens à conserver ma liberté d’opinion. C’est cela qui me permet de garantir l’éducation du public nigérian, tout en renversant les préjugés de certains partenaires vis-à-vis de l’Afrique noire. » Après avoir débuté avec une dizaine de propriétés bordelaises la première année, son portefeuille s’élargit à cinquante l’année suivante. Désormais elle ne les compte plus, élargissant son offre aux vins du Languedoc, d’Italie, de Californie… Elle organise en France de somptueux « dîners du vin » autour de la cuisine africaine. Au passage, elle étend son activité à d’autres marchés que le Nigeria : Afrique du Sud bien sûr, mais aussi Kenya, Ouganda, Congo, Ghana, et enfin des pays francophones comme la Côte d’Ivoire et le Cameroun.
Si les vins « prêts à boire » constituent la grande majorité de l’offre qu’elle déploie à destination des consommateurs africains, Chinedu Rita Rosa commence aussi à l’élargir aux primeurs : « Avec la progression de la culture du vin et le fait que certains amateurs ont de plus en plus de moyens, l’achat en primeurs devient un investissement attractif. C’est à Bordeaux de prendre en considération ces nouveaux débouchés, sans se reposer sur ses lauriers, car la concurrence des vins d’autres pays, notamment d’Italie ou d’Afrique du Sud, s’intensifie », explique-t-elle.
Au-delà de son rôle d’ambassadrice, Chinedu s’engage fortement sur le sujet de l’inclusivité dans le monde du vin : « En tant que femme, noire, africaine, j’ai pu faire l’expérience de la difficulté de trouver sa place dans ce milieu, et je suis encore quotidiennement confrontée à des préjugés ou des comportements déplacés. Je veux contribuer à faire bouger les lignes, être une inspiration : j’ai deux filles, elles sont d’origine métissée mais elles ont la peau noire, je refuse qu’elles soient assignées, je refuse d’accepter qu’une femme soient placée dans une certaine case ou limitée à certains postes. » Elle a lancé en 2022, avec la journaliste britannique Jane Anson, la Bordeaux Mentor Week, qui permet à de jeunes talents du monde entier de découvrir le monde du vin bordelais : « Il y a beaucoup de jeunes gens, des hommes comme des femmes, qui seront les sommeliers et ambassadeurs du vin de demain. Ils viennent d’Inde, d’Afrique, d’Amérique du Sud. Il faut leur créer des opportunités, contribuer à leur éducation. C’est pourquoi nous demandons aux propriétés qui vont accueillir la Mentor Week en 2024 de s’engager à proposer un stage aux candidats sélectionnés. Cela fera de ces talents bruts des ambassadeurs loyaux à vie. » Ou comment contribuer à changer le monde du vin, un pas après l’autre : c’est ainsi que l’on ouvre de nouveaux horizons.
* Sources : OIV et Comtrade
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