Samedi 21 Décembre 2024
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14.12.2022
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Le champagne est un vin, soit, on n’a de cesse de le répéter, mais cela n’en fait pas un vin comme les autres. Vous l’ignoriez peut-être mais il détient le secret de jouvence, car là où d’autres vieillissent, lui mûrit ! La démonstration nous en a été faite une fois de plus lors de la présentation de Dom Pérignon 2004 Plénitude 2, la deuxième sortie de ce millésime, faisant suite cette fois à un vieillissement sur lies de 17 ans.
Vincent Chaperon, le chef de caves de Dom Pérignon, l’affirme : « le champagne a inventé le principe de la maturation dans le vin », une maturation qu’il distingue du vieillissement, la première étant un enrichissement, la seconde une destruction. L’originalité du champagne est en effet d’opérer une seconde fermentation en bouteille qui génère un dépôt de lies constituées des résidus des levures mortes, ces levures au fur et à mesure des années nourrissent le vin, l’enrichissent d’un point de vue aromatique et jouent un rôle en limitant l’oxydation. « Cela existe aussi en barrique en Bourgogne, mais là, on est quand même sur dix ans, vingt ans, trente ans, dans un contact aussi intime que celui de la bouteille, avec des levures qui sont les nôtres, que nous avons spécialement sélectionnées et préparées. En réagissant avec le vin, les levures mortes le protègent également d’une oxydation excessive, et assurent une oxydation encore plus ménagée. » Une fois dégorgé, le champagne ne possède plus ces lies. Le processus de vieillissement est alors amorcé. Seules les maisons peuvent par conséquent assurer cette maturation, le consommateur ne pourra gérer que le vieillissement.
Chez Dom Pérignon, depuis le choix de la maturité du raisin à la cueillette jusqu’au mode de vinification qui restreint comme nulle part ailleurs l’apport d’oxygène, le champagne est conçu dès le départ pour des maturations extrêmement longues et avec lesquelles on aime jouer. On considère ainsi qu’il existe pour cette cuvée trois fenêtres d’harmonies qui justifient trois sorties différentes sur le marché : Vintage, Plénitude 2, Plénitude 3. La première entre six et dix ans, la seconde entre 12 et 20 ans, la troisième aux alentours de 25 ans. « Pourquoi n’y a-t-il pas de plénitude 4 ? Parce qu’après trente ans, il n’y a plus de dépôt. Donc on est sur du vieillissement pur. »
Voilà pour la théorie. Il restait à la vérifier par la dégustation des deux versions de Dom Pérignon 2004, l’une dégorgée en 2012, l’autre (P2) en 2021. Le scénario de la vendange 2004 intimement lié à la faible récolte de l’année précédente, ressemble à celui de 1970. En 2003, le gel printanier avait touché 43% du vignoble. Un été caniculaire avait suivi, chaud et très ensoleillé, les ceps avaient donc accumulé énormément d’énergie qu’ils ont mis en réserve puisqu’ils avaient peu de raisins à nourrir. « La vigne est une plante pluriannuelle, ce qu’elle vit une année, a un impact sur l’année suivante, et même encore sur celle d’après. » C’est donc cette réserve qui explique l’abondance record de la vendange 2004, une année par ailleurs incroyable d’harmonie. « Il n’y avait rien de plus simple que 2004, en tant que vigneron et même en tant qu’œnologue, il suffisait d’accompagner. On a eu la bonne pluie au bon moment, le bon soleil au bon moment. Le climat très doux a amené des vendanges tardives qui ont débuté le 24 septembre. » Le résultat ce sont des vins mûrs, qui ont une belle générosité, mais avec un côté aérien, une buvabilité, une élégance, qui n’existent que dans ces années de gros rendement.
Lorsque l’on déguste la version « Vintage », on perçoit bien cette légèreté. C’est un vin facile, discret. Le vieillissement lui a déjà donné une certaine patine, une ouverture, une souplesse et des notes d’évolution. Au contraire, la version P2 est marquée par une étonnante fraîcheur qui donne l’impression que le vin a encore un large potentiel de vieillissement tandis que les arômes sont plus précis. « A chaque fois que je mets côte à côte un Vintage et sa version P2, ce que je remarque, c’est que la maturation vient toujours compléter ce qui était un peu la fragilité ou le manquement du vin. Sur 2004, ce caractère aérien est aussi l’endroit par où il pêchait un peu, la nature nous avait donné du volume mais pas nécessairement de la matière. P2 vient pallier cela, vous l’observez sur toute la longueur du vin, mais particulièrement sur la finale où vous sentirez un peu d’amertume, de salinité, une légère astringence. On voit que cette maturation supplémentaire est venue affermir, densifier la matière, renforcer les contours de cet espace, de ce volume, que nous avait offert la nature en 2004. »
Pour explorer cette cuvée, le mieux est encore de la confronter aux créations gastronomiques les plus audacieuses. « Dans notre métier, nous avons la chance de nous projeter dans toutes les couches du temps et de les voir se manifester dans le produit fini à travers ses différentes couches sensorielles. Voilà pourquoi lorsque l’on déguste le champagne, on doit le challenger avec des plats de grands chefs. C’est la seule manière de révéler ces strates à la manière d’un archéologue qui viendrait gratter le sol à l’abbaye d’Hautvillers où 1700 ans d’histoire se sont accumulés sous nos pieds. Tout est là, il suffit de creuser ! » Le moins que l’on puisse dire, c’est que le menu préparé par Amaury Bouhours et Cédric, chef du Meurice, ne cherchait pas à ménager le vin et qu’il fallait effectivement tout le caractère de cette Plénitude 2 pour lui tenir tête. Le plat le plus osé était certainement le dessert, une glace au citron dont l’acidité dissipait complètement celle du champagne pour ne plus laisser apparaître que ses arômes, une mise à nue périlleuse que seule l’extrême complexité développée par la Plénitude 2 permettait d’affronter.
Prix recommandé : 465 €
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