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Duval-Leroy : et Dieu créa la Femme de Champagne

Auteur

Yves
Tesson

Date

26.06.2024

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2008 est un millésime qui a de quoi rendre nostalgique tous les amoureux du champagne. Un peu comme une carotte de glace extraite de la banquise, il vient témoigner d’un climat à jamais disparu, plus froid, qui donnait au raisin un temps de maturation plus long, plus régulier et une finesse et une fraîcheur inégalés. La Maison Duval-Leroy nous dévoile sa magnifique expression sur sa cuvée Femme de Champagne, alors que ce vintage, après 15 ans de vieillissement sur lie, arrive enfin sur le marché.

Femme de Champagne ? C’est la cuvée pied de nez imaginée par Carol Duval-Leroy dans les années 1990, alors que tout le monde voulait la dépeindre, depuis la perte de son mari en 1991, comme la nouvelle Veuve. Sandrine Logette, la cheffe de caves, raconte : « Carol, avec son caractère, ne supportait pas ! Femme, c’est un concept plus moderne, c’est à la fois la mère, qui élève ses trois jeunes enfants et la femme d’entreprise qui mène tout cela de front. Le nom a tout de suite collé au produit, parce qu’il a une identité très marquée par le chardonnay, un cépage plus délicat. » Pour autant, l’objectif de cette cuvée était de pouvoir aller aussi au-delà de l’apéritif, afin d’accompagner des repas gastronomiques. C’est pourquoi on a rajouté une pointe de pinot noir qui vient structurer un peu la finale, mais aussi un peu de bois pour donner de l’épaule et tenir tête à des plats plus puissants. Femme de Champagne, c’est enfin une cuvée travaillée avec énormément de précision. Sa naissance coïncide avec le déménagement de la Maison du Centre de Vertus vers la périphérie et à la création de sa nouvelle cuverie parcellaire. Les vins employés sont ainsi tous soigneusement sélectionnés parmi les parcelles de grands crus en mi-coteaux.

Sandrine nous confie cependant qu’avec le réchauffement, l’origine pourrait évoluer vers les hauts de coteaux. Pour cette œnologue, la fraîcheur est en effet un maître mot, dont elle rappelle volontiers qu’il est inscrit au cahier des charges de l’appellation. « Garder la fraîcheur et ne pas tomber dans le vineux, c’est aussi du marketing, il ne faut pas oublier que l’essentiel des ventes de notre région se fait pour l’apéritif, même si nous voulons élargir notre cible ! Dans un premier temps, les Champenois ont joué sur les dosages en les réduisant, ce qui fait davantage ressortir l’acidité. Le sucre servait aussi à renforcer les milieux de bouche, mais comme le réchauffement a accru la structure des vins, son addition était là aussi moins nécessaire. Les dosages de Femme de Champagne ne dépassent ainsi jamais 5 grammes. En Champagne, aujourd’hui, ce sont surtout les amers dont la présence a été renforcée par le réchauffement, que les dosages servent désormais à masquer. » 

Deuxième levier pour préserver la fraîcheur, Sandrine joue sur les dates de cueillette. « Il existe depuis quelques années une course à la maturité. Il faut prendre conscience qu’elle est dangereuse. En Champagne, on ne fait pas du raisin de bouche ! Non seulement cette maturité réduit l’acidité et donc la fraîcheur, mais un degré excessif peut gêner la prise de mousse, déjà difficile en Champagne à cause des températures basses des caves et du niveau d’acidité. Il peut aussi pousser les chefs de cave à diluer ces vins avec d’autres aux titres plus faibles, sans égard pour leur qualité. » 

Une troisième possibilité qui enrichirait la boîte à outils, serait de bloquer les fermentations malolactiques et conserver ainsi l’acide malique. Cette piste est en ce moment à l’étude chez Duval-Leroy. « Le procédé était autrefois utilisé pour certaines tailles, or on constate qu’aujourd’hui les premières presses ont parfois le même niveau d’acidité ! Je reste cependant prudente. D’une part, parce que cette acidité n’est pas toujours très bien intégrée dans le vin et qu’on peut avoir l’impression qu’elle s’en dissocie. D’autre part, parce que pour obtenir ce blocage des malos, nous ne voulons pas devoir sulfiter à outrance. Or cette opération sera réalisée dans la même cuverie que là où nous effectuons des malos, ce qui signifie que si on veut se passer au maximum de sulfites, il faudra aller au-delà du simple nettoyage du matériel, qui devra être littéralement aseptisé. Tout un réapprentissage ! »

Question fraîcheur, justement, le millésime 2008 que la maison s’apprête à lancer sur le marché ne nous déçoit pas. C’est une année qui avait démarré comme 2024, ce qui pourrait rassurer les Champenois. Un gel printanier avait détruit une partie des bourgeons et la fleur avait ensuite été gênée par des températures très basses. Les Champenois le savent : juin fait la quantité, mais pas la qualité. Or, heureusement, s’ensuivit un mois de juillet beau, entrecoupé comme souvent en Champagne d’un mois d’août pluvieux, avant le retour salvateur du soleil en septembre pour la vendange. Pour cette année un peu froide et tendue, la maison a choisi des pinots noirs plutôt chaleureux du sud de la Montagne (Aÿ, Bouzy, Ambonnay) pour venir balancer l’austérité et le caractère très droit des chardonnays de Chouilly, Avize, Mesnil-sur-Oger et Cramant. La quantité de pinot noir étant relativement élevée dans l’assemblage (26 %), on a réduit celle du bois (6 %). Le contraire de ce qui avait été fait par exemple en 2000, où les pinots noirs n'étaient pas excellents, mais les chardonnays magnifiques, et où on avait mis moins de pinot noir (seulement 5 % de Bouzy) mais 26 % de vins élevés sous bois pour compenser cette perte de structure. Sur ce 2008, sans atteindre le niveau d’acidité de 1996, on est tout de même à 8,5 g sur moût, avec qui plus est un niveau de sucre à la vendange très honorable de 10,5. De quoi assurer un bel équilibre qui se traduit à la dégustation par de magnifiques notes d’agrumes, une belle salinité, une grande pureté et en même temps de jolies notes d'amande et de noisette sans doute apportées par le long élevage sur lie.