Jeudi 26 Décembre 2024
©F. Bouyé
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Date
20.03.2024
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Alors que les Grands Jours de Bourgogne battent leur plein, une dégustation hors du commun a eu lieu en off de l’événement samedi dernier à l’opéra de Dijon. Orchestrée avec brio par les étudiants de l’Institut Agro de Dijon, consommateurs et professionnels ont dégusté des crémants distingués par les marques Éminents et Grands Éminents. Pierre du Couëdic, directeur de l’UPECB (Union des producteurs et élaborateurs de crémant de Bourgogne) nous a éclairé sur ces distinctions et sur l’identité des Crémants de Bourgogne.
Comment définiriez-vous les Éminents et grands Éminents ? Ce ne sont pas des AOP ?
En effet. L’AOP Crémant de Bourgogne date de 1975 mais l’histoire des effervescents bourguignons est multiséculaire. Ceux-ci se distinguent par leurs terroirs, par leurs cépage et, depuis longtemps, se posait la question de mieux les hiérarchiser afin de valoriser les cuvées plus gastronomiques. Cela a abouti à la création de ces deux marques déposées en 2016 aux conditions d’accès strictes. Ce projet a rencontré le désir d’étudiants d’Agrosup qui souhaitait travailler à un outil qui ait du sens au niveau professionnel. Et cela abouti à la dégustation à l’auditorium.
Ces marques ne sont pas très connues aujourd’hui…
Elles le sont davantage à l’international, nos pays importateurs comme l’Amérique du Nord, le Brésil et l’Asie du Sud-Est y sont attentifs. En France, nous avons une vision de la hiérarchie des effervescents psychorigide : il y a le champagne et le reste ! Pourtant, le crémant peut répondre aux différents moments de consommation d’un amateur de bulles : l’apéritif, le repas gastronomique comme le moment festif.
Quel est le niveau d’exigences pour obtenir ces distinctions ?
Il faut savoir que les crémants « tout courts » sont déjà les appellations les plus contrôlées, à la cuverie comme au moment de la prise de mousse. Les Éminents et grands Éminents se doivent d’avoir une approche organoleptique plus poussée et cela passe par un cahier des charges technique précis : des durées d’élevage plus longues (24 mois pour les éminents, 36 pour les grands éminents), par l’obligation de cultiver les cépages bourguignons nobles : pinot et chardonnay, le gamay étant accepté pour les rosés, ainsi que par des dates de vendanges plus tardives pour obtenir une maturité (10°, 5 ° min.) offrant une plus grande complexité aromatique.
En quoi cette dégustation est-elle exceptionnelle ?
Par son protocole. Il s’agit d’un plan d’exigence unique au monde où le savoir-faire des enseignants comme des étudiants chercheurs sert une dégustation à l’approche analytique très rigoureuse. Il s’agit d’une évaluation sensorielle où deux panels de dégustateurs (consommateurs et professionnels) évaluent ces crémants selon des critères intrinsèques (analyse sensorielle) et extrinsèques (la bouteille et son habillage). Chaque vin est évalué 24 fois dans des contextes (ordre de dégustation) variés et par des profils divers. Les résultats (20 000 données à croiser) sont ensuite dépouillés et analysés par une équipe d’enseignants-chercheurs de l’Institut Agro Dijon qui transmet aux producteurs dans le but ultime de les accompagner dans leur recherche de qualité.
Sur place, nous avons pu observer l’investissement et le professionnalisme des étudiants enthousiastes : un véritable ballet au service de cet événement original. Ballet qui a demandé des mois de préparation à une dizaine d’étudiants, la brigade qui a dirigé une centaine d’élèves ingénieurs le jour J.
Quelle est l’implication de la filière dans cette démarche ?
En 2023, 22 opérateurs référencent ces marques mais ce qui est intéressant, ce sont les profils très différents, des petits aux très gros qui s’investissent.
Pourquoi êtes-vous convaincus que le Crémant de Bourgogne peut avoir une place de choix dans la panoplie des effervescents ?
Sa légitimité s’appuie sur une longue histoire attestée par des travaux de chercheurs émérites. Au XIXème siècle, de célèbres noms de climats étaient associés aux effervescents qui étaient d’ailleurs mieux valorisés que les vins tranquilles. Si la bulle bourguignonne a été longtemps évincée des appellations d’origine, c’est le fruit de querelles avec sa voisine champenoise. En 1935, l’INAO impose qu’elles soient attribuées aux régions viticoles en fonction de ce pourquoi elles sont reconnues. Pour la Bourgogne, ce sera le terroir et rien d’autre ! Et cela rend la chose impossible, l’assemblage champenois étant reconnu comme LA référence.
Le débat n’est pas clos : si 95 % des crémants sont des crémants d’assemblage et si l’INAO leur refuse la mention de lieux-dits, le savoir-faire bourguignon est à l’œuvre dans l’élaboration de ses crémants avec toujours la volonté de révéler les terroirs, que cela soit dans des cuvées parcellaires ou pas !
La 13ème AOC de Bourgogne (12% de la production de Bourgogne) a de beaux jours devant elle et est devenue, avec une qualité croissante, une des pièces maîtresses (comme dans le jeu du Mikado !) du marché, surtout quand il tremble…
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