Dimanche 22 Décembre 2024
Bernard Farges, président du salon VINITECH-SIFEL, également président du Comité national des interprofessions des vins à appellation d’origine et à indication géographique (CNIV) ©DR
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Date
18.03.2020
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La pandémie de covid-19 qui frappe le monde entier n’épargne pas la filière vin. Le vignoble bordelais doit encaisser un nouveau coup dur dans une période déjà chahutée. Entretien avec Bernard Farges, président du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB).
Bernard Farges, en tant que président du CIVB mais aussi en tant que citoyen, comment vivez-vous la situation de confinement et de blocage provoquée par la pandémie de covid-19, qui a inéluctablement des effets sur toute la filière vin ?
En tant que citoyens, nous devons d’abord être attentifs à nos proches, à nos familles, à nos salariés lorsque nous sommes chefs d’entreprise. En ce qui concerne la filière vin, il s’agit d’une activité agricole, qui a été identifiée par les pouvoirs publics comme une activité prioritaire qu’il faut maintenir. Comme pour beaucoup d’autres métiers – industriels par exemple – le télétravail n’est pas possible, on travaille avec du vivant, végétal ou animal, et le confinement est difficilement envisageable. Il faut rester sur le pont, aujourd’hui, et en prévision du moment où nous sortirons de cette crise. La filière viticole doit donc continuer à rester active malgré les circonstances.
Quelles sont les mesures mises en place ou préconisées par le CIVB auprès des professionnels du vin, notamment en ce qui concerne les travaux à la vigne ?
En cette période de l’année, certains terminent la taille, il y a des travaux d’hiver à accomplir (tombée des bois, réparations de palissages…) mais ils peuvent se faire en maintenant des distances de sécurité. Dans quelques jours ou quelques semaines, on va commencer les travaux d’ébourgeonnage, d’autant que la vigne a l’air plutôt en avance, il faudra alors veiller à respecter les règles de distanciation. Au chai, certains postes sont plus compliqués à aménager. De fait, la situation sanitaire ralentit sérieusement les activités de conditionnement et d’expédition. Donc à la vigne, pour l’instant on a besoin de tout le monde ; au chai, c’est plus difficile ; et dans les bureaux, autant que possible on passe en télétravail. Nous avons fait partir ce mardi après-midi des instructions à toute la filière, suite à la déclaration du Président de la République, afin de délivrer toutes les informations utiles (sanitaires, pratiques, administratives, fiscales…) et que chacun puisse s’organiser. Tout le monde voulait savoir ce que le confinement aurait comme répercussion sur l’activité viticole. On a aussi regardé de près ce que font nos amis italiens, qui ont quelques semaines d’avance sur nous, et on a pu constater que la production agricole se poursuit, le transport aussi, même avec beaucoup de précautions. Il était important de communiquer des informations solides afin que tout le monde soit dans les clous, tant au niveau de l’organisation du travail que des règles de santé publique. Et nous restons en alerte sur l’évolution de la situation.
Cette crise sanitaire est un nouveau coup dur pour la filière. En tant que Président du CIVB, quel message voulez-vous faire passer ?
La première des choses, c’est le respect de la protection des personnes. On continue de travailler, mais en garantissant, en encadrant la sécurité de la santé de chacun. C’est prioritaire. De façon plus large, on voit bien que le marché du vin de Bordeaux est à l’arrêt, mais Bordeaux n’est pas la seule région concernée et la production de vin n’est pas le seul secteur concerné. Le tourisme, la restauration sont durement frappés également, ce qui a aussi des répercussions sur la consommation. La situation n’était pas dynamique avant, elle s’aggrave. Nous restons malgré tout un produit stockable, non périssable ; cela ne nous sauve pas de tout mais cela nous incite à nous montrer très réactifs lorsque la situation s’améliorera. On commence à avoir des signaux de reprise en Asie, encore très timides mais encourageants. Il faudra se remettre aussi en ordre de marche pour les expéditions. Tout est relié. Mais il faut se dire que cette crise va avoir un impact très rude pour beaucoup de pays, pour beaucoup d’entreprises, on voit que des mécanismes d’aide et de soutien se mettent en place mais cela va laisser des traces. Cet épisode va aussi nous obliger à revoir beaucoup de choses dans nos sociétés. C’est une crise telle que notre génération n’en a jamais connue – bien sûr incomparable avec ce qu’ont vécu nos anciens ou ce que subissent des pays en guerre. Il faudra que la consommation redémarre. Il est probable que, lorsque cette pandémie sera derrière nous, nous voudrons tous vivre pleinement le retour à la normale, de profiter de notre temps libre, de nos amis, de nos proches. Alors l’économie repartira, et ce sera sans doute l’occasion pour notre filière de rebondir, avec toutes les mesures de modération qui s’imposent.
L’un des dommages collatéraux de cette pandémie est aussi le report de la Semaine des Primeurs, quel effet cela va-t-il avoir sur la filière bordelaise ?
Je dirais que les vins de Bordeaux vendus en primeurs sont moins soumis à l’urgence. S’ils ne sont pas présentés en avril mais dans quelques semaines ou quelques mois, ils seront un peu moins « primeurs » mais n’en resteront pas moins intéressants à déguster pour les professionnels, d’autant que ce millésime 2019 est remarquable. Ce moment de dégustation viendra ; pour l’instant les vins sont dans les chais, ils continuent leur élevage, et l’on fera du commerce plus tard – je ne doute pas qu’il y aura un marché pour ces vins. En attendant il faut resituer les priorités, notamment le travail fait par tous nos soignants pour lesquels chaque minute compte. Il faut donc relativiser et rester concentré sur l’essentiel.
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