Lundi 23 Décembre 2024
(photo Michael Boudot)
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28.09.2021
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Ancien avocat d’affaires passé chez Pernod Ricard au service fusions-acquisitions, puis dans la filiale cognac et champagne Martell Mumm Perrier-Jouët, Bastien Collard de Billy a rejoint depuis un an la Maison Pol Roger en tant que secrétaire général. A l’occasion de la présentation du Rosé Vintage 2015 et de la dégustation surprise d’un champagne de 1921, Terre de vins en a profité pour faire sa connaissance et prendre la température des affaires alors que les ventes battent tous les records en Champagne.
Vous représentez l’arrivée de la sixième génération chez Pol Roger, pouvez-vous vous situer dans la famille ?
Pol Roger avait deux fils, Maurice et Georges, je descends de la branche Maurice. Mon grand-père Christian de Billy a dirigé la Maison pendant cinquante ans. Mais ce n’est pas ma seule connexion au monde du champagne. je suis aussi le petit-fils de François Collard, qui était vigneron à Bouzy et dont le père Lucien a dirigé le vignoble de Moët & Chandon. Mon oncle Vincent Collard - qui est également mon parrain - a dirigé celui de Taittinger pendant trente ans. Cette ascendance vigneronne m’a beaucoup apporté. Quand j’étais enfant, nous habitions Paris, mais le weekend nous allions voir mon grand-père maternel, Christian de Billy, chez Pol Roger, puis mon grand-père paternel à Bouzy, je me suis imprégné de ces deux cultures. Les deux grands-pères s’entendaient très bien : c’était le négoce et la vigne, François Collard était quelqu’un qui travaillait beaucoup et qui fournissait de très bons raisins, il y avait un respect mutuel. Enfin, Christian de Billy a épousé Chantal Budin dont la famille dirigeait autrefois la Maison Perrier-Jouët. Ma mère me racontait que le dimanche, elle allait à la Maison Belle Epoque manger le poulet rôti, ce qui a beaucoup amusé lorsque je travaillais chez Mumm Perrier-Jouët. La force de Pol Roger est d’être une maison familiale et l’une des toutes dernières à ne faire que du champagne. Nous possédons 95 % des actions, les 5 % flottants sont liés à une cotation momentanée en bourse. Il y a aujourd’hui une cinquantaine d’actionnaires et les assemblées générales ont des allures de réunions de famille.
Comment se portent les ventes de la Maison Pol Roger ?
L’ensemble de la Champagne connaît une année extraordinaire. En ce qui concerne 2020, l’année n’a pas été si terrible pour Pol Roger, si bien que 2021 ne correspond pas vraiment à une reprise mais simplement à la continuité de ce qu’était 2019. En 2020, nous n’avons connu une baisse de volume que de 4,5 % et de 5,5 % en ce qui concerne la valeur par rapport à 2019 qui était une année record pour Pol Roger. La progression de Pol Roger est exponentielle depuis une dizaine d’années. Nous sommes à un million huit-cent-mille bouteilles, ce qui est peu comparé à des mastodontes comme Moët & Chandon qui font plusieurs dizaines de millions de bouteilles, mais qui représente beaucoup pour nous. Tous les ans, nous gagnons 100.000 bouteilles. Très vraisemblablement, nous devrions passer cette année ou l’année prochaine le cap des deux millions.
En revanche, il est vrai que nous sommes à flux très tendus. Nous subissons en fait tous les reports de demandes de champagne, liés au fait que les autres maisons elles-mêmes ne sont pas en capacité de livrer. Je discutais ce matin avec l’Australie qui m’expliquait que chez les cavistes, on ne trouve plus de champagne ! Cela crée de la frustration du côté du marché. Les clients ne comprennent pas, ils sont mécontents. Pour notre part, nous sommes sous un régime d’allocations, il apparaît donc cohérent de maîtriser notre offre. Nous leur expliquons que Pol Roger ne fera pas de compromis sur son processus d’élaboration pour répondre à la demande. On peut trouver des solutions sur le long terme, c’est l’objectif de notre nouveau site de production qui sera opérationnel en 2023 dans la mesure où il nous permettra d’avoir un quai d’expédition plus rempli et donc de livrer plus vite. Mais, il est hors de question par exemple de réduire la durée de vieillissement. Celle-ci est de presque quatre ans pour les BSA, une durée plutôt longue en Champagne, six à sept ans pour les millésimes, et neuf à dix ans pour les Churchill. C’est notre identité qui est en jeu : nos clients aiment Pol Roger parce que c’est un champagne vineux, très travaillé, un peu patiné.
En 2020, aviez-vous anticipé la reprise en ne baissant pas les tirages ?
Nous avons continué à travailler normalement sans baisser ni augmenter les tirages. En fait, nous nous sommes rendus compte très vite que le ralentissement était faible. Certes, en 2020, nous avons eu des vrais décrochages mais qui ont été compensés par des bons stratosphérique en Corée du sud, en Australie, et aux Etats-Unis. Sur ce marché, ce qui est surprenant, c’est qu’ils avaient eu très peur de la taxe des vins de Trump, donc ils avaient surcommandé en 2019. On s’attendait donc à ce qu’en 2020 les ventes chutent, elles ont au contraire continué sur la même lancée, et en 2021 ils sont repartis vers les étoiles. Le seul vrai décrochage que nous avons constaté, c’est le Japon, qui encore aujourd’hui est en grande difficulté par rapport au covid. Pour le reste, même l’Espagne et l’Italie qui pourtant étaient très impactés par l’épidémie, sont en train de faire une année extraordinaire.
On observe aussi une évolution favorable du mix par exemple en Russie, où il y a une vraie évolution du goût. Nous vendons de plus en plus de grandes cuvées et non simplement plus de Brut Réserve. La crise actuelle dans ce pays nous a mis en difficulté, mais nous rassure aussi. Le fait que l’on voit les Russes évoluer plus vers des fines wines nous fait dire que cette nouvelle législation ne va pas impacter ces connaisseurs-là du champagne qui nous commandent de plus en plus de vins spéciaux, de vieux millésimes etc... En revanche, il faut garder à l’esprit que si l’enjeu n’est pas immédiat, parce que bien évidemment les consommateurs de champagne en Russie aujourd’hui savent très bien faire la différence entre un pétillant russe et un champagne, il est très important pour l’avenir. Le nouvel étiquetage risque d’ancrer les choses et les générations futures pourraient ne plus faire la différence. La deuxième question que pose la crise russe, c’est que nous nous dépensons une énergie folle pour défendre l’appellation et que si nous commençons à lâcher du lest sur certains pays, d’autres à qui par le passé on a dit non et avec lesquels on a été très ferme, ne comprendraient pas. Cela crée un état d’esprit qui n’est pas favorable à l’appellation champagne.
Terre de vins aime : Rosé Vintage 2015, un champagne puissant, vineux, aux délicieux arômes de cerises confites. Prix recommandé : 85€
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