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Face à la grêle, la détresse des vignerons

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

24.06.2024

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Les épisodes de grêle de la semaine dernière, particulièrement violents à Bordeaux mais également localisés dans les Charentes, dans le Mâconnais, dans le Beaujolais (sans oublier quelques semaines plus tôt dans le Bergeracois ou encore à Chablis) viennent miner un peu plus le moral des vignerons, auxquels l'année 2024 épargne bien peu d'épreuves pour l'instant.

"C'est un état de sidération qui prévaut. On avait jusqu'ici réussi à contenir le mildiou, mais là il n'y a plus rien, je suis sous le choc. Par rapport à certains, je ne me plains pas car j'ai l'avantage d'être assuré, mais je me pose de très grosses questions. Sur mon avenir, sur celui de la propriété, de la viticulture, de l'agriculture. En une demi-heure, on peut tout perdre. [...] Je suis épuisé, j'ai plus envie". Dans une vidéo poignante postée sur les réseaux sociaux, Laurent Rousseau, vigneron à Abzac sur la rive droite de Bordeaux, constate la désolation dans ses vignes, suite à l'épisode de grêle qui a traversé le vignoble girondin dans la nuit du 18 juin. Cet épisode, extrêmement violent, est venu mettre à mal tous les espoirs d'une récolte en 2024 pour bon nombre de vignerons, lesquels se battaient déjà depuis des mois contre une pluie quasi ininterrompue et une pression mildiou particulièrement féroce. Dans le contexte difficile que traverse toute la filière, c'est l'épreuve de trop.

La grêle, cette loterie implacable, s'est déjà invitée plusieurs fois depuis le début de l'année : début mai dans le Chablisien, puis dans le Bergeracois, tout récemment dans les Charentes, dans le Mâconnais et le Beaujolais... Démunis face à de tels événements climatiques, les vignerons n'ont plus qu'à recenser les dégâts : la semaine dernière, ce sont plus de 1900 hectares qui ont été ravagés rien que dans le nord du Médoc, sur des communes comme Gaillan-en-Médoc, Bégadan, Valeyrac, Jau-Dignac-et-Loirac...

"Double peine"
Sur la rive droite, certains secteurs de Pomerol, mais surtout Lalande-de-Pomerol et Fronsac ont été dramatiquement frappé par les intempéries. Xavier Buffo, directeur général du château de La Rivière à Fronsac, a eu le temps de faire l'état des lieux : "notre domaine s'étend sur 100 hectares, dont 65 de vignes. Tout a été touché, avec une intensité allant de 10% à 80% de dégâts selon les endroits. On a fait des estimations parcelle par parcelle, en pondérant on pense que l'on perd 50% sur la récolte. C'est d'autant plus rageant que l'on se battait depuis des semaines contre le mildiou, et qu'après la grêle nous avons repris de la pluie, ce qui nous a empêché de traiter. C'est un coup dur, mais nous avons au moins la chance d'avoir une vaste superficie. Certains à Fronsac ont tiré un trait sur le millésime, dans le secteur des Trois Croix, à Saint-Michel-de-Fronsac le spectacle est désolant. Une assemblée générale du syndicat se réunit demain pour établir précisément les dégâts, mais c'est l'intégralité de l'appellation qui a été touchée à des degrés divers. La vigne en était à peine au stade de la nouaison, quand tout est encore très fragile, les grappes qui se forment, les rameaux... Lorsqu'on voit les impacts, c'est impressionnant. Et cela pose aussi la question de la récolte de l'année prochaine, car il va falloir sans doute tailler très court, cela risque forcément d'amputer la production du millésime suivant."

Hélène Ponty, également vigneronne à Fronsac, a posté sur les réseaux sociaux : "depuis 4 ans et demi que je suis installée comme vigneronne, j’ai connu le gel, le mildiou (lui et moi on se connaît même très bien…), la sécheresse, les parcelles dans lesquelles on ne peut plus rentrer en tracteur parce qu’elles ont pris trop de pluie… mais pas la grêle. Enfin ça, c’était jusqu’à aujourd’hui. C’est bizarre, la grêle. On arrive le matin, et nos vignes qui avaient l’air si belles la veille, sont toutes déchiquetées."

Damien Bielle (vignoble Marius Bielle, Lalande-de-Pomerol), lui aussi, dresse un bilan sans concession : "j'ai été touché sur l'intégralité de mes 13 hectares, avec une intensité supérieure à 80%. Autant dire que je fais un trait sur la récolte. C'est la dure vie de vigneron face aux aléas climatiques, quand on fait ce métier on sait tous que l'on peut tout perdre dans ce genre d'épisode. C'est surtout un crève-cœur pour les équipes, face à tout le travail qu'on accumule. Au niveau de l'appellation, certaines zones ont été épargnées, du côté de Néac par exemple, mais d'autres comme Lalande ont été touchées à plus de 70%. Pour ma part j'essaie déjà de me focaliser sur 2025, il faut soigner les vignes qui ont pu garder des feuilles en bon état, permettant la photosynthèse qui leur permettra de faire des réserves pour l'année prochaine. La taille sera aussi très importante. Lorsqu'on prend un tel orage de grêle, c'est souvent la double peine, qui peut flinguer deux millésimes consécutifs". Pour conjurer le sort, Damien (qui ne manque jamais d'idées pour créer des cuvées décalées) a décidé de faire aboutir un projet qui lui trottait depuis longtemps dans la tête : faire une cuvée "de copains, de bons vivants" baptisée "Lalalande", en Vin de France, issue d'achats de raisins auprès de camarades vignerons d'autres régions. Une campagne de financement participatif a été mise en place, accessible sur le lien suivant. En espérant que Ryan Gosling et Emma Stone porteront chance à ce projet.