Jeudi 26 Décembre 2024
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17.12.2014
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On sait l’homme pressé. François Lurton incarne la cinquième génération de la famille Lurton, productrice de vins dans le Bordelais depuis 1897. Depuis 1988, d’abord avec son frère Jacques puis seul, il est à la tête de plusieurs vignobles aux quatre coins du monde : en tout, 300 hectares en propriété et plus de 300 hectares sous contrat d’exploitation, entre l’Argentine, le Chili, l’Espagne et la France.
En 2009, François Lurton achète le Mas Janeil à Maury, qu’il exploitait déjà depuis dix ans en fermage. Fin septembre, il avait posé ses valises à Maury le temps de jauger la maturité des raisins et inviter les voisins en son Mas Janeil pour une grillade. Puis de laisser la parole au Professeur Henri Salvayre, spécialiste de la géologie des Pyrénées Orientales, pour une étude géologique de la vallée de l’Agly.
Définir un terroir
François Lurton : « Cela fait vingt ans que je suis ici et que je me bats pour faire connaître et reconnaître le Roussillon. Mon père a travaillé comme un fou sur l’appellation Entre-Deux-Mers et pour la délimitation de l’appellation Pessac-Léognan, tout au nord des Graves (ce n’est pas un hasard : tous les Grands Crus sont dedans !)
Entre les différences climatiques et géologiques, la reconnaissance de terroirs passe par leur connaissance intime. Nous le savons à Bordeaux. En Bourgogne aussi. Dans des zones aussi prestigieuses, où toutes les étiquettes mentionnent avant tout et en grand « Grand Vin de Bordeaux », « Grand Vin de Bourgogne », on rappelle constamment la référence régionale et on peut jouer à affiner l’identification de terroirs à l’infini. En Roussillon, c’est encore compliqué ! Avec l’appellation Maury en sec, on peut se distinguer du Roussillon catalan et assumer l’occitanie des Fenouillèdes. Très bien. Mais allez expliquer, ailleurs en France et à l’export, la différence entre Roussillon et Fenouillèdes…
Pourtant il y a matière ! Jancis Robinson me dit « les vins d’ici sont la prochaine Bourgogne ». Elle fait notamment référence à la variété de sols, d’expositions, de cépages originaux… qui fait que chaque parcelle est un terroir et qui permet à chaque vigneron d’affirmer son identité. En particulier en blanc ! Rien qu’au Mas Janeil, nous avons quatre îlots de vignes autour du village, une source d’eau qui est un lieu de résurgence d’un immense lac enfoui sous la vallée de l’Agly, comme l’explique le Professeur Henri Salvayre dans ses travaux.
Au Pas de la Mule nos vignes s’enracinent sur les éboulis calcaires de la falaise à laquelle la parcelle est adossée et qui se mêlent au schiste du sol, configuration que l’on retrouve du côté des Soulanes (que nous surnommons « la ferme aux sangliers » tant ils s’y plaisent et pullulent) avec des expositions très différentes. Du côté de la Devèze et vers le Mas Amiel, nous sommes sur une plaine schisteuse. N’importe où ailleurs il faut faire 200 kilomètres pour avoir une telle variété de sols. »
Justement, l’expérience internationale, qu’est-ce que ça change ?
François Lurton : « Quand on arrive sur un nouveau vignoble, on a tendance à appliquer ses vieilles recettes… Et quand ça ne marche pas, on apprend à faire différemment.
J’expérimente beaucoup, partout, avec des regards croisés qui me sont précieux, celui de Michel Rolland en particulier : nous travaillons ensemble depuis longtemps.
J’ai beaucoup appris au Portugal, notamment. En bon Bordelais, je n’avais pas du tout l’habitude des vignes complantées, où cohabitent plusieurs cépages. Au moment de vendanger, au lieu de faire comme les locaux et de tout vendanger en même temps, j’ai fait identifier chaque pied de vigne dans les parcelles, assigné un cordon de couleur à chaque cépage et nous avons vendangé les bleus avec les bleus, les verts avec les verts… pour respecter la maturité de chacun. A l’arrivée, vinifiés séparément, chaque vin de cépage était splendide mais assemblés, ils ne s’apportaient rien. L’année suivante, j’ai vendangé comme on le fait au Portugal : à une date médiane pour que les raisins les moins mûrs apportent de l’acidité et les plus mûrs de la gourmandise et en commençant par le haut des parcelles, à la maturité plus précoce qu’en bas des pentes. Le choix de la date de vendange n’a déjà rien de simple sur un seul cépage, là c’est encore plus compliqué ! Mais à l’arrivée on s’équilibre ! »
2014, millésime de l’étrange
Sur le millésime 2014 au Mas Janeil, la date de vendange s’avérait un choix particulièrement épineux, comme partout en France. Or, à l’heure de la vendange, François Lurton est sur le pont partout : Portugal, Chili, Argentine, Maury… Car il a une priorité : « Je tiens à être présent pour choisir la date des vendanges. C’est essentiel. Surtout sur un millésime 2014 marqué, à Maury et ailleurs, par un été inhabituellement frais et peu ensoleillé. La maturation des raisins s’est déroulée très lentement : les raisins mettent beaucoup de temps à gagner en sucre, et plus encore à perdre en acidité, à cause des nuits fraîches. Il faudra donc attendre ce millésime jusqu’au bon moment et je suis là pour le choisir. »
A la vigne, François Lurton a été convaincu par la biodynamie au Chili, sur des vignes intactes de pratiques intensives. Il l’applique depuis progressivement dans ses domaines et explique : « La biodynamie m’a convaincu parce qu’elle implique une remise en ordre des cycles naturels et de la vie des sols. Ces cycles restaurés apportent réellement au profil des vins, les affinent très sensiblement. Elle permet d’exprimer le meilleur du terroir. »
A la dégustation
En blanc, le Petit Pas Blanc ouvre le bal (45% Grenache blanc, 35 % Grenache Gris, 20 % Macabeu) avec des arômes intenses de fleurs blanches, de pêches de vigne et une note toastée gourmande (9, 30 € sur le site domainesfrançoislurton.com).
En rouge, on note la cuvée Sans Soufre, 60 % Grenache, 30 % Carignan, 10 % Syrah. Le sans soufre fait débat « il faut être irréprochable de la vigne au chai et jusqu’à la mise en bouteille », résume François Lurton. A l’arrivée le résultat convaincra les plus rétifs au sans soufre : un vin net, au fruit croquant rouge et noir et des notes épicées de poivre, une grande finesse de tannins et une très belle finale (15 € sur le site domainesfrançoislurton.com).
En rouge, toujours, le haut de gamme, le Pas de la Mule, dégusté sur 2008 et 2010, deux millésimes très différents, puisque 2010 a été marqué par le manque d’eau dès l’hiver alors que 2008 avait bénéficié d’un printemps généreux en précipitations. La signature commune des deux cuvées se trouve dans ses arômes généreux de fruits noirs et notamment de cerise, plus kirschée en 2010, et dans une trame tannique à la fois dense et délicatement ciselée. L’élevage est marqué sans être dominant. Le 2010 trouve son équilibre dans une structure tannique qui porte le fruit jusqu’en finale ; en 2008, les tannins sont plus veloutés, patinés aussi par un début d’évolution et l’acidité encore croquante prolonge une finale épicée.
(Le 2008 est proposé sur le site de domainesfrançoislurton.com à 49, 50 €)
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