Grands Jours de Bourgogne : « Il y a un vrai désir de Bourgogne »

À l'occasion du coup d'envoi, ce lundi 18 mars à Chablis et pour cinq jours dans tout le vignoble bourguignon, de l'événement professionnel "Les Grands Jours de Bourgogne", rencontre avec le nouveau directeur du Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB), Sylvain Naulin.

Cette 17è édition des Grands Jours de Bourgogne, qui s'ouvre aujourd'hui à Chablis et se clôturera vendredi en Côte de Nuits, s'annonce record, en termes d'exposants comme de visiteurs ?
En effet, nous attendons 2600 visiteurs professionnels durant ces cinq jours, venus de 60 pays. Nous avons même dû bloquer les inscriptions pour conserver une gestion qualitative des flux de visitorat. Environ 970 exposants sont réunis, soit une centaine de plus que lors de la dernière édition il y a deux ans - il faut dire que le millésime 2021 était particulièrement bas en volume et les deux millésimes suivants ont été marqués par des rendements plus importants. Il y a donc du vin à vendre et des acheteurs intéressés : on le constate, il y a un véritable "désir de Bourgogne" !

Vous avez pris vos fonctions de directeur du BIVB en juillet dernier, succédant à Christian Vanier. Vous découvrez une nouvelle région, avec des enjeux qui lui sont propres...
Je n'arrive pas totalement vierge de connaissance sur le vignoble bourguignon, puisque j'ai œuvré à la Direction Départementale des Territoires (DDT) de Saône-et-Loire de 2002 à 2005. Par la suite, j'ai travaillé au sein du CEEV - Comité Vins à Bruxelles pendant un peu plus de sept ans, puis encore sept ans à la direction d'InterLoire. Lorsqu'on est à la tête d'une interprofession, on échange beaucoup avec nos homologues d'autres régions : certaines problématiques sont identiques, d'autres très différentes. J'ai suivi de près, ces dernières années, celles de la Bourgogne, dont les enjeux peuvent recouper ceux d'autres vignobles septentrionaux, mais qui aussi a ses propres atouts et défis. C'est un vignoble à la forte renommée, bénéficiant d'une grande attractivité, mais la question du prix des vins brouille quelque peu le message : certains voudraient résumer la région aux prix élevés et à la rareté de certains grands crus, nous voulons au contraire défendre la profondeur de gamme qui est la nôtre. Il y a de très bons rapports qualité-prix en Bourgogne, c'est impossible pour un amateur de ne pas trouver son bonheur. Et encore une fois, notre région jouit d'une grande cote d'amour : quand les gens entendent "Bourgogne", leurs yeux pétillent.

Quels sont les grands chantiers prioritaires qui sont les vôtres, à la tête de l'interprofession ?
Le premier chantier est environnemental, c'est celui du dérèglement climatique. Je préfère parler de "dérèglement" plutôt que de "réchauffement" (qui est trop réducteur) et de "changement" (qui est trop faible). Notre filière est en première ligne. Lorsqu'on observe les courbes de récoltes sur les 30 à 40 dernières années, on constate que jusqu'en 2010 (hormis l'exception 2003 qui était un coup de semonce), il y avait une relative stabilité. Depuis 2010, nous ne cessons d'avoir des à-coups, marqués par des aléas climatiques extrêmes. Regardez tout récemment : 2021 a été l'une des plus faibles récoltes de tous les temps, tandis que 2023 s'est révélée historique en termes de rendement. Face à ce dérèglement, l'interprofession enclenche un certain nombre d'actions préventives, en premier lieu au sein du programme R&D de la commission technique du BIVB. Matériel végétal, pratiques culturales, itinéraires techniques en vinification sont les principaux leviers pour continuer à faire des vins équilibrés face aux aléas. Notre programme QANOPEE, en partenariat avec la Champagne et le Beaujolais, intervient en particulier sur ces questions.
L'autre axe majeur est celui de l'altération du dérèglement climatique. Notre filière exporte beaucoup (55% en volume, 62% en valeur), la question du bilan carbone est donc centrale. Nous avons lancé en 2023 le Plan Objectif Climat, qui vise la neutralité carbone à l'horizon 2035. L'ambition est de réduire de 60% nos émissions, sachant qu'il reste 40% incompressibles qu'il faudra compenser, notamment par la captation de CO2, en coordination avec d'autres pans de l'agriculture. Nous lançons, en cette fin du mois de mars, une plateforme "WinePilot" qui permet à tous les adhérents BIVB d'accéder à un outil de calcul et de simulation de leur empreinte carbone. Cela devrait aussi nous offrir une base de données précieuse afin de définit une cinétique collective.

Un autre axe prioritaire de votre direction est le rayonnement des Cités des Climats et des Vins de Bourgogne (Beaune, Chablis, Mâcon), inaugurées en juin 2023...
Nous sommes encore en phase de décollage. Après un peu plus de six mois d'ouverture, les premiers retours sont extrêmement qualitatifs, aussi bien concernant l'architecture des cités - en particulier celle de Beaune - que la scénographie. L'affluence est encourageante : déjà 50 000 visiteurs, sur un objectif de 120 000 la première année et, à terme, 180 000. Tout reste à faire en termes d'attractivité, nous devons encore mieux communiquer sur ces trois sites, créer des synergies avec d'autres lieux culturels - comme les Hospices de Beaune qui ont connu une année record en 2023.

Enfin, dans un contexte international compliqué (baisse de la consommation de vin, guerre en Ukraine, inflation généralisée, élections américaines à l'issue incertaine), comment dresser un cap pour la commercialisation des vins de Bourgogne ?
Vous avez tout dit : le contexte, aussi bien français que mondial, est tendu et la consommation de vin s'en ressent. Notre produit est essentiel à la civilisation - on vend de la culture, de l'émotion, de l'Histoire, du terroir - mais pas au quotidien des gens, qui font des arbitrages d'achats en temps de crise. Et les jeunes générations vont avoir des habitudes de consommation différentes des nôtres. Nous devons donc conserver une place dans ce contexte changeant, et elle ne passera qu'en misant sur la grande qualité de nos vins. La Bourgogne doit demeurer une référence, elle a des atouts considérables grâce à la fraîcheur et l'élégance de ses vins, qui répondent aux tendances actuelles. Mais il ne faut pas considérer cette position comme un acquis. Il faut entretenir cette désirabilité. Cela englobe ce que l'on trouve dans la bouteille, mais aussi notre démarche environnementale. Du côté des marchés, les États-Unis sont un marché majeur, mature depuis longtemps, et nous sommes très attentifs au fait que les "taxes Trump" n'ont été que suspendues. Un éventuel retour de Trump à la Maison Blanche en fin d'année pourrait les réactiver... Côté Asie, la Chine n'a jamais été un marché prioritaire. Des pays comme le Japon, la Corée du Sud, Singapour se maintiennent. Hong Kong aussi, bien que l'on surveille l'attitude de la Chine à son égard. Les marchés émergents d'Asie du Sud-Est ou d'Afrique sont encore marginaux. Quant à l'Europe, en incluant le Royaume-Uni, elle reste une destination prioritaire pour nos vins, mais il est vrai qu'entre les incertitudes politiques, l'inflation et le conflit en Ukraine, beaucoup de paramètres viennent compliquer les projections. Tout l'enjeu est de séduire les consommateurs de demain : lorsqu'on perd un acheteur régulier, il faut en conquérir 7 à 10 nouveaux pour le "compenser". À nous d’acculturer les nouvelles générations, de les faire venir au vin, de leur rendre plus lisible nos appellations, nos terroirs.

DÉGUSTATION : "TERRE DE VINS" AIME...

Premier jour 100% Chablis et vignobles de l'Yonne pour cette 17è édition des Grands Jours de Bourgogne. Pas mal de nouveaux exposants qui méritent le détour ! On vous avait déjà parlé, il y a deux ans, de Guillaume Michaut et de son Domaine 47°N3°E créé en 2018. En 2022, Guillaume a "rapatrié" les vignes familiales et travaille aujourd'hui sur 7,80 hectares. On adore son Premier Cru "Beauroy" 2022 élevé 14 mois en cuve inox, une démonstration de pureté chablisenne, ciselée, précise, aérienne (45 €). Au rayon des nouveaux exposants, le Domaine des Trois V est une exploitation familiale reprise en 2017 par Marjorie Molusson, première génération à faire, dès 2020, de la mise en bouteille (même si elle continue de vendre au négoce). Marjorie travaille avec sa fille Thessa, qui nous présente notamment un Premier Cru "Vaucoupin" 2022, 100% cuve inox, tout en palette florale et touche iodée, saline, doté d'une belle mâche salivante et d'une très belle persistance (18,70 €). Du nouveau aussi au Domaine Krantz, installé à Chitry : le fils Antoine a rejoint le père, Jean-Yves (installé depuis 30 ans sur 15 hectares), et ensemble ils ont mis leur premier millésime en bouteille en 2020. Coup de cœur pour le Bourgogne Chitry blanc 2022, 100% cuve, issu de vignes de chardonnay d'une quarantaine d'années, déroulant une jolie chair de poire juteuse à point, un agréable gras qui ne cède rien au côté désaltérant, tout cela pour 8,50 € seulement, quelle affaire ! Enfin, Domaine Vincent Wengier, pas vraiment une nouveauté - il a repris les rênes du domaine il y a 25 ans - mais une valeur sûre à (re)découvrir, annonce une certification bio de ses 28 hectares à partir du millésime 2023. Toute la gamme est impeccable mais si c'est une pépite que vous cherchez, optez pour le Bourgogne Chardonnay 2022, d'une belle densité vibrante, une chair plantureuse mais de la nervosité, un profil salivant, c'est un sacré bon chardo tout en dentelle ! (12,50 €)