Vendredi 17 Janvier 2025
©Michaël Boudot
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Date
17.01.2025
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Guilhem Grosperrin, directeur général et co-propriétaire (avec Maison Villevert) de la maison éponyme, dresse un état des lieux de la situation de l’eau-de-vie charentaise. Avec transparence et une grande croyance en la force de l’appellation…
Nous subissons aussi la crise, il n'y a pas de miracle. Cependant, nous gardons un bon niveau de ventes en bouteilles, surtout en France et en Europe. Au grand export, c'est plus mitigé. Certains pays, qui étaient très importants autrefois pour nous, ne font plus que de la figuration, comme la Chine ou la Russie. Ces pays se sont créés eux-mêmes des difficultés, je crois. Globalement, nos petits volumes et le nombre important de clients que nous avons, nous permettent de bien travailler. Sur le premier trimestre, nous avons fait +20 % par rapport à l'exercice précédent (qui se terminait au 30/09). Mais bon, nous parlons de petits chiffres… En attendant, nous limitons nos charges, et nous vivons sur nos stocks. Maison Villevert, notre actionnaire majoritaire, est très présent dans ces moments-là, c'est une chance et une force pour l'avenir.
Les crises mondiales sont assez brutales en général, et même s'il y a des signes avant-coureurs, on espère tous que ça ira mieux demain, et puis hop, c'est trop tard… La région a eu la chance de connaître une période dorée, avec des ventes en hausse régulière depuis 15 ans. En 2024, « Cognac » a expédié 166 millions de bouteilles, comme en 2012, ce n'est pas si mal… Sauf que nous sommes loin des 220 millions de bouteilles que nous avons connus. C'est pour honorer ces volumes qu'il a été décidé d'augmenter les rendements annuels et d'augmenter la superficie du vignoble. Il fallait bien créer des stocks pour répondre à la demande. Tout était en place.
Or, la production de cognac s'inscrit dans le temps long. Pour faire un VSOP, il faut presque 10 ans (4 ans entre la décision de planter et la première récolte, puis 5 ans pour faire un compte 4). Et aujourd'hui, il y a un effet ciseau : d'un côté les ventes baissent, et de l'autre, les stocks augmentent, surtout chez les négociants (qui portent environ 80 % du stock de la région). En conséquence, les rendements maximums autorisés finissent par diminuer afin de limiter les stocks, et les viticulteurs sont impactés à leur tour, alors même que certains sont encore en phase d'investissements.
Les viticulteurs et les négociants sont représentés à 50/50 dans notre interprofession, c'est d'abord un malheureux concours de circonstances. Et puis, comment fonder des plans de production sur des impressions, ou juste l'intuition que le monde ira moins bien, avec un produit aussi complexe que le cognac, alors que les chiffres étaient en hausse ?
Je pense qu'il faut d'abord que nos entreprises digèrent la conjoncture, ce sera difficile. Nous avons des emprunts, des engagements d'achat, des salariés, etc. Cela va prendre du temps. À notre échelle, nous allons être amenés à nous recentrer. Dans ces moments-là, c'est le cognac – sa longue histoire, ses terroirs – qui nous inspirera le plus sûrement. C'est notre appellation que nous serons amenés à promouvoir, en tout premier lieu.
Ensuite, nous recentrer sur notre ADN, sur ce que nous savons faire de mieux. Les nouveaux circuits de commercialisation sont importants, certes, mais la vente sur Internet reste très faible pour les spiritueux. Nous ne négligerons pas les opportunités, mais il faudra aussi les relativiser pour ne pas s'aventurer dans des dépenses inconsidérées. À l'échelle des grandes maisons, le sujet est plus complexe, elles devront être très à l'écoute de leurs marchés, mais elles savent le faire. Quant à réinventer le cognac, je ne suis pas sûr que ce soit nécessaire. Il est très bon notre produit, non ? Essayons de faire encore mieux, ce sera déjà pas mal. On peut douter de l'état du monde, mais pas du cognac !
Nous venons de mettre en bouteilles quelques jolis lots de Grande Champagne. Un 15 ans, et un trésor que nous avons appelé « N°39 ». Ce sont de très bons rapports qualité-prix, et ce « N°39 » est superbe. Nous avons aussi refait un assemblage de notre liqueur d'orange, sous notre petite marque Orange d'Or. C'est vraiment très bon…
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