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Homo vini-vitis : Le vigneron est son maître

Auteur

Marie-Pierre
Delpeuch

Date

14.10.2023

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Jacques Maby, signe « Homo vini-vitis », un essai sur les valeurs humaines de la vigne et du vin. Un ouvrage érudit à la dimension holistique et philosophique.

Agrégé de géographie, puis docteur en géographie, professeur d’université et ancien doyen de la faculté des lettres et sciences humaines d’Avignon, Jacques Maby est aussi un spécialiste de l’intégration des paysages et du vignoble. Sa thèse portait sur le vignoble de la vallée du Rhône "Côtes-du-rhône et Costière gardoises, cohérence spatiale et humaine d’un vignoble d’appellation". Trouvant dans ce terrain matière à de multiples réflexions, il aborde dans cet opus de nouveaux champs de réflexion, avec une dimension philosophique de la vigne. Décryptage.

Vous abordez la vigne et le vin sous tous les angles et avant tout, sous l’angle philosophique, pourquoi ce choix ?
La généalogie de cet ouvrage est liée à mon travail de recherches universitaires pendant une trentaine d’années. En tant que géographe sur l’espace viticole, éventuellement l’économie et les paysages mon sujet préféré. À chaque fois que l’on publie un article, en bout de course, on arrive toujours à poser les questions de valeur anthropologiques ou philosophiques, mais on n’a pas le loisir d’y répondre, car ce n’est pas trop le but de la géographie. Toute ma carrière, j’ai laissé en suspens une série d'interrogations. Arrivé à la retraite, j’ai décidé de traiter cette question-là, sous l’angle des valeurs à la fois sacrées, profanes, esthétiques, identitaires, tout ce qui dans le vin suppose qu’il y a une adhésion du dégustateur, du visiteur, adhésion symbolique en tout cas. Ce sujet n’est pas traité, en fait. C’est présomptueux, mais ce livre-là n’existait pas.

Il y a des allers-retours constant entre histoire, géographie, théologie, tout est imbriqué et indissociable ?
Le fait est lié à mon regard. En qualité que géographe, j’ai travaillé sur la systémique des espaces géographiques. Tout est en interaction, le climat, le sol, le commerce, le prix, la symbolique chrétienne, tout interagie. On est sans cesse dans les allers-retours, on passe du paysage à la peinture, de la peinture à l’art, de l’art à l’art sacré, du sacré à la symbolique, etc. C’est un travail d’interrelations qui demande un effort de clarification. J’espère y être parvenu.

Persévérance et humilité, sont pour vous les deux mamelles idéologiques du vignerons ?

C’est du vécu ! La viticulture est pleine de surprises, à chaque saison, à chaque récolte, face aux résultats, il faut rester humble. Je pense qu’il y a pas mal de vignerons qui se prétendent des créateurs ou des inventeurs et qui justement sont presque les jouets de la nature. Et en même temps rester humble, car on est sous le regard des autres sans cesse, ça, c’est très dur pour vivre. Être sous la critique gustative, sous le regard du marché, c’est un métier qui demande beaucoup de qualités humaines et morales. Je dirais même éthiques parce que la morale, c’est rigide, l’étique vise le résultat et regarde si ce que l'on fait vaut le coup d’être fait.

Vous écrivez : « le métier de vigneron ne consiste plus à pactiser avec la nature mais à la contraindre et produire du vin n’est pas l’aboutissement d’un partenariat harmonieux mais celui d’un plan de domination »…
C’est toute l’histoire de l’agriculture. Dans ce processus de domination, il y a des périodes de succès et d’échecs. Des périodes de grande stabilité, les vins antiques par exemple. L’époque moderne est un autre type d’équilibre. Puis le changement technique du XIXe siècle, la révolution agricole, ces victoires idéologiques, comme celle du mildiou ou de l’oïdium, du phylloxera. Chaque fois, la science agronomique remporte le match. Plus que d’autres, les viticulteurs sont soumis à la pression de l’environnement. Cette série de remises en cause, conduit à un désenchantement technique, qui a conduit à des vins contestables. Il faut bien admettre que les vins bio et naturels sont portés par le public, le marché et par de nouvelles valeurs idéologiques.

Le vin c’est de la contrainte mais c’est avant tout du plaisir. Vous dîtes : « Si, ne nous contentant pas de boire du vin, nous le pensions, ne serait-ce pas l’occasion de nous divertir plus encore ?».
He oui ! Le plaisir est autant dans le débat qui accompagne la dégustation ou le contexte festif. Donc le plaisir n’est pas que dans le goût, mais dans l’imaginaire qui est développé, dans la verbalisation, c’est là que le plaisir est multiplié. Comparer nos sensations, nos perceptions, partager des souvenirs de visite, dans les caves, les vignobles. Arriver à ce type de débat, comme : qu’est-ce que le bonheur sur terre ? N’est-ce pas tout simplement de boire un verre de vin entre amis, en famille, fêter un souvenir, une victoire ? Autrefois, on invitait à un vin d’honneur, le terme s’est perdu, c’est bien dommage. Penser le vin, c’est redoubler le plaisir et les perceptions sensorielles.

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