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Evremond, l’aventure anglaise de Taittinger

Domaine Evremond paysage, vignoble anglais de Taittinger

Domaine Evremond, vignoble anglais de la famille Taittinger ©DR

Auteur

Yves
Tesson

Date

16.10.2024

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Alors que le domaine Evremond, en Angleterre, créé par la famille Taittinger et destiné à produire des vins effervescents, vient d’être inauguré en présence de la duchesse d’Édimbourg, Vitalie Taittinger a accepté de nous raconter l’histoire de ce beau projet, véritable pari culturel.

Le réchauffement climatique est-il à l’origine de votre projet viticole en Angleterre ?

Pas du tout ! C’est d’abord une histoire d’amitié avec notre distributeur anglais, Patrick McGrath. Lorsque nous avons repris Taittinger en 2006, ce distributeur assez coté nous a beaucoup aidé à réaliser nos objectifs et à pouvoir ainsi jour après jour racheter la maison. Il y a une dizaine d’années, il est arrivé dans le bureau de mon père, et lui a fait part de son envie de distribuer un vin anglais. Mon père lui a répondu : « nous allons faire mieux que cela, nous allons créer ensemble un domaine ». Ils sont alors partis à la recherche du meilleur terroir où s’implanter. Et ils se sont arrêtés dans le Kent, à côté de Chilham, dans un endroit que l’on surnomme le jardin de l’Angleterre.

Marc Gascoigne, un entrepreneur propriétaire de vastes vergers, a bien voulu nous céder 70 hectares. Nous avons arraché les arbres fruitiers, travaillé le sol que nous avons laissé reposer un an, puis nous avons progressivement planté jusqu’à atteindre aujourd’hui 60 hectares de vignes.

Evremond, l'aventure anglaise de Taittinger
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Est-ce un copié-collé de ce que vous pratiquez en Champagne ?

On retrouve les mêmes cépages, le pinot noir, le chardonnay et le meunier. Nous nous appuyons évidemment sur notre savoir-faire, mais pour autant, c’est une remise en cause perpétuelle. Le climat est pluvieux, venteux, on vendange un mois plus tard. C’est vrai que cela ressemble un peu à ce que nous connaissions en Champagne il y a quarante ans et que les sols sont crayeux, mais il y a des petites différences, comme la proportion de silex. Comme c’est une nouvelle expérience, on s’autorise aussi davantage de libertés. Nous avons par exemple planté les pieds en semi-large avec des vignes hautes.

Quels ont été les choix concernant les modes de vinification ?

Nous sommes sur des vinifications très classiques en cuve inox. Comme nous avons déjà beaucoup d’inconnues à gérer, nous ne voulions pas d’emblée compliquer les choses. Pour l’instant, nous construisons un socle en partant des premiers repères dont nous disposons, mais ce socle, nous allons petit à petit venir le sculpter en affinant notre approche. Avant cela, nous devons nous faire une idée précise du goût du vin. Je pense qu’il faudra attendre quatre éditions avant de réussir à bien l’appréhender au-delà des variations annuelles liées au climat.

À quand les premières bouteilles sur le marché ?

Le premier tirage de 100 000 bouteilles arrivera sur le marché en mars. C’est un assemblage fondé sur une base 2020 avec 20 % de vins de réserve de 2019. On est sur quelque chose de très pur avec une jolie minéralité et en même temps du fruit. L’ensemble est équilibré, porté par une belle tension, et reflète bien le terroir dans lequel il s’inscrit. Cette première cuvée sera commercialisée au prix de 50 livres.

En attendant, vous avez déjà inauguré le domaine en présence de la duchesse d’Édimbourg…

Nous voulions profiter de cette saison pour célébrer la fin des travaux de la winery et montrer au public ce vignoble qui, en dix ans, a pris de belles couleurs. C’est devenu un paysage, ce qui est assez émouvant, lorsque l’on songe qu’à notre arrivée, cela ne ressemblait pas du tout à cela. Aujourd’hui nous avons un magnifique vignoble, pratiquement d’un seul tenant tout autour du chai, avec une vue splendide.

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Vous avez fait appel à un architecte champenois de renom…

Oui, il s’agit de Giovanni Pace. La signature est assez sobre. L’idée était justement que cela ne prenne pas le pas sur le paysage. C’est notamment pour cela qu’une grande partie est enterrée. Quant à la façade, elle est constituée uniquement de briques claires, avec un calepinage assez particulier. L’ensemble est à la fois élégant et intemporel.  Les caves descendent à 20 mètres de profondeur et dans 3 000 ans, je pense qu’elles seront encore là, car nous avons dû composer avec les normes des Anglais qui sont beaucoup plus sévères que les nôtres en matière de structure, de béton…

J’imagine qu’il a dû être difficile de trouver sur place des ouvriers viticoles dans un pays où ce savoir-faire n’est encore qu’à ses balbutiements….

Nous avons la chance de bénéficier de l’aide de Marc Gascoigne qui nous a vendu les terres au départ et qui est arboriculteur, un métier proche. Il discute en permanence avec Christelle Rinville, directrice de notre domaine viticole en Champagne. Idem côté caves, même si nous avons des personnes sur place, Alexandre Ponnavoy, le chef de caves de Taittinger, supervise les vinifications du domaine Evremond. L’idée, c’est de donner petit à petit plus d’indépendance à la winery, mais cela prendra du temps, celui de la transmission.

Le choix du nom Evremond, en référence à Saint-Évremond, est tout un programme, ce personnage historique est l’un des premiers à mentionner la mode apparue en Angleterre pour les vins de Champagne effervescents…

C’est surtout le seul Français enterré à l’abbaye de Westminster. Cet écrivain exilé a terminé ses jours en Angleterre par passion, c’est l’une des personnalités françaises dont la vie a été la plus pleinement ancrée dans une amitié franco-britannique. C’est ce qui nous a fascinés, la faculté qu’il a eue d’arriver dans un pays par nécessité, et d’y rester parce qu’il y a trouvé une culture très différente à laquelle il s’est attaché. En ce qui nous concerne, c’est la preuve que cela peut fonctionner, dans la mesure où notre projet repose également sur un pari culturel.