Mercredi 8 Janvier 2025
Jean d'Arthuys et l'équipage du Triana. ©DR
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07.01.2025
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Jean d’Arthuys, déjà copropriétaire avec Reynald Delille du Domaine de Terrebrune depuis 2021, vient d’acquérir un nouveau domaine viticole en Bourgogne sud. Cet ancien patron de médias a également participé à l’Ocean Globe Race, le tour du monde en équipage en trois escales, sans aucune assistance technique, de septembre 2023 à avril 2024. Il en a profité pour embarquer dans ses cales une caisse de bandols, « pour l’expérience ». Nous l’avons rencontré pour qu’il nous parle vins, voile et de ses futurs projets.
Je suis allé visiter il y a cinq ans, grâce à un ami, cette propriété qui est l’une des plus belles de Bourgogne, avec une histoire similaire à Terrebrune : une famille dont les membres ne s’entendaient plus et un domaine qui s’essoufflait. Ils ont finalement pris la décision de vendre cette propriété, dans la famille depuis le XVIe siècle. J’ai donc repris le château de Vinzelles qui signifie vignes en latin – il a toujours été un village de vignerons depuis le Moyen Âge. Il a la chance de porter le nom de l’appellation (dont il représente environ 30 %) et comprend une vigne de 17 ha d’un seul tenant autour du château, non loin de la Roche de Solutré.
C’est en fait un véritable hameau avec le château de Vinzelles, une ancienne maison forte habitable, qui possède l’un des plus vieux pressoirs de France datant du XVIIe siècle, comme celui du Clos Vougeot, mais également trois maisons autour, et un autre château de type bourguignon, celui de Layé, abandonné, mais relié au premier par la cuverie. Nous entendons d’ailleurs mettre en valeur ce patrimoine avec des partenaires hôteliers.
Un peu fatigué, mais il est exceptionnel, et il compte parmi les plus belles parcelles de la Bourgogne avec des vignes centenaires de chardonnay. Une parcelle de 2 ha vient même de passer en premier cru, c’est la cerise sur le gâteau. Il est situé sur une veine triasique de calcaires fragmentés comme Terrebrune, avec des sols salins et minéraux à 350 m d’altitude. C’est une des locomotives de l’appellation uniquement en blanc. Nous réfléchissons à un programme de développement avec Axel Remandet, l’ancien chef de culture du château des Jacques en Beaujolais.
Nous avons vendu la vendange au négoce pour la première année, mais nous avons prélevé 15 hl sur chaque climat pour les vinifier et se familiariser avec les profils de chacun. Cela va nous permettre de réfléchir aux gammes de vins avec les œnologues, notamment Emmanuel Gagnepain qui travaille aussi sur Terrebrune. Les vignes vont nécessiter une remise à niveau, et nous avons récupéré des droits de plantation. Nous avons pour ambition de faire un très grand blanc de la Bourgogne sud. Avoir des vins d’une telle qualité avec une surface pareille est rare en Bourgogne.
Depuis 20 ans, j’ai fait ma route des vins et le tour de France des beaux domaines, un peu comme Kermit Lynch. C’était un vieux rêve comme le tour du monde à la voile. J’en ai visité énormément dans tous les vignobles, à commencer par Bordeaux où ma famille avait une maison. Il y a dix ans, j’ai failli acheter un cru bourgeois exceptionnel et heureusement, ça ne s’est pas fait à la dernière minute. Car je me suis rendu compte que si vous n’êtes pas dans les 150 classés, il est très difficile d’émerger dans la masse de milliers de propriétés. À Bandol, il n’y en a qu’une soixantaine. Pour quelqu’un qui rentre dans la filière tardivement, il est plus facile de mettre sur le podium un vignoble avec une forte personnalité dans une petite appellation à moindre notoriété que d’essayer de survivre à Bordeaux.
À Terrebrune, il y avait déjà un grand talent dans la production avec Reynald Delille mais beaucoup à faire dans la distribution. Le réseau était surtout basé sur les copains bistrotiers du père ; il n’était pas structuré et n’avait bénéficié d’aucune prospective. J’ai recréé un réseau avec de jeunes agents dynamiques qui avaient déjà de très beaux portefeuilles : plus ils ont des grands vins, plus ils vous emmènent avec eux comme Roland Bessi à Nice qui avait déjà La Romanée-Conti et qui nous a pris en exclusivité pour Bandol. L’agent, c’est la clé. J’en ai changé 20 sur 20 dans toute la France, avec un par département dans le sud, notre plus grosse région.
Aujourd’hui, il n’y a pas un seul étoilé où l’on n’est pas présent en Provence-Côte d’Azur. J’ai également opéré de grands changements parmi les importateurs. Nous réalisons entre 40 et 45 % de ventes à l’international, en progression douce aux États-Unis, mais aussi en Angleterre, et de plus en plus en Asie via Hong Kong et Singapour.
Sur environ 120 000 bouteilles par an, nous élaborions à peine 40 % de rouges, 50 % de rosés et 10 % de blancs. Aujourd’hui, nous sommes passés à 50 % de rouges, 15 de blancs et 35 de rosés. Les grands domaines se doivent de produire davantage de rouges qui font la notoriété de l’appellation. De façon conjoncturelle, on constate d’ailleurs un petit coup de frein sur les rosés, même si les consommateurs pensent d’abord à cette couleur pour l’appellation. Un des grands enjeux est d’échapper à la ruée vers l’or des rosés industriels des grands groupes qui se sont étendus en négoce.
Il y a une pédagogie à avoir pour faire découvrir des rosés de gastronomie : actuellement, on commercialise le bandol rosé 2022. Nos agents vendent en plus en plus l’expérience au verre de plus vieux millésimes dans les étoilés. Pour les blancs qui rencontrent de plus en plus de succès depuis 2-3 ans, nous sommes souvent en rupture et nous avons planté 2 ha pour augmenter leur production.
Les rouges sont l’identité et l’histoire de Bandol. Ils doivent rester notre socle. Nous avons aussi décalé d’un an leur commercialisation, en ce moment, le 2020, même si c’est une stratégie qui coûte cher en stock. Le mourvèdre s’attend un peu et pour éviter que les consommateurs ne les boivent trop jeunes, on les vend plus tard. C’est un argument majeur pour les restos. On met tous les ans 10 000 bouteilles de côté – c’était déjà le cas du temps du père de Reynald. Je suis favorable à l’évolution du cahier des charges que l’appellation a demandée pour avoir la possibilité de passer de 18 à 12 mois d’élevage en bois minimum afin de suivre l’évolution des goûts.
Après un gros travail d’identification géologique depuis deux ans, nous allons aussi en parallèle expérimenter un autre rouge sans élevage, élaboré à partir des vignes les plus jeunes et des parcelles les plus minérales. Un vin sur le fruit et moins tannique, qui sera déclaré en Vin de France. Nous en prévoyons 5 000 bouteilles pour le 2024. Ce ne sera pas un second vin, mais une autre promesse de Terrebrune qui s’appellera Terreblonde pour jouer sur notre identité.
Dans cette marmite permanente entre 45 °C vers l’Équateur et 2-3 °C au Cap, on n’était pas dans des conditions idéales et bien trop fatigués pour avoir envie d’ouvrir les bouteilles. J’avais voulu en effet prendre une caisse de bandols sur le bateau dont le spi (voile du bateau, ndlr) était floqué Terrebrune pour voir leur évolution au bout du voyage. On avait embarqué deux rouges de 2019, deux blancs et deux rosés de 2022. Ils ont été très secoués, soumis à de forts écarts de températures et de pression dans la cale dans un environnement très humide et salin.
À l’arrivée, après une dégustation avec des œnologues des six bouteilles avec les bouteilles témoins restées en cave, force est de constater que les résultats étaient trop disparates pour en tirer un enseignement. Il y avait de grands écarts entre elles, mais pas de profil commun ni d’évolution comparable. À part qu’elles étaient toutes très bonnes, peut-être plus expressives pour celles qui avaient navigué.
Pour les deux, il faut travailler avec des gens passionnés et qui se respectent. Et on ne force pas le passage avec la nature. On apprend aussi le temps long, huit ans pour que la vigne donne du bandol et 800 jours à 8 nœuds (15 km/h) pour faire le tour du monde. Dans les deux cas, on est connecté en permanence avec la nature, les bruits, la météo dans des environnements parfois hostiles. Ce tour du monde dont j’avais rêvé il y a déjà plus de 20 ans avec Olivier de Kersauson (qui adore le Terrebrune rosé), c’est un rendez-vous avec soi-même où l’on apprend l’essentiel.
Quand je me suis décidé, Kersauson a essayé de me décourager en me disant que je jouais à la roulette russe avec un si petit bateau (17 m). Bien sûr, il y avait mille raisons de ne pas le faire mais je n’ai pas renoncé et je suis fier que l’on soit arrivé 1ᵉʳ de la catégorie, 3ᵉ au général et surtout d’avoir gagné l’étape du Cap Horn. On a quand même fêté le passage du Cap avec un Terrebrune 2014 que j’avais pris au dernier moment. Par 3 °C dans une lessiveuse sous la grêle, c’était ingoûtable, mais symbolique.
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