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« L ‘Odyssée du vin » de Jérémy Cukierman

©Leif Carlsson

Auteur

Thomas
Galichon

Date

28.10.2023

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A l’occasion de la parution de son nouvel ouvrage, entretien avec Jérémy Cukierman, Master of Wine.

Pourriez-vous revenir sur votre initiation au vin et votre parcours qui vous a mené jusqu’au titre de Master of Wine ?
J’ai commencé ma carrière dans la communication en étant acheteur média, sans n’avoir aucune vocation à faire ce métier-là. J’ai pu rencontrer une bande de joyeux drilles aux profils épicuriens, l’un étant fils de guide gastronomique, un autre ayant monté un restaurant avec une sacrée carte des vins… Nous avons alors commencé à arpenter les régions viticoles, les bonnes tables. J'ai dépensé sans compter, j’y passais mes week-ends, jusqu’à me demander s’il ne fallait pas envisager un changement de cap. Avec deux de mes acolytes nous avons monté une agence événementielle spécialisée dans le vin, un système de vente sur allocation et des points de vente sur Paris. Au bout de six années, j'ai voulu en savoir encore davantage et me suis investi dans la formation du WSET. J’ai passé les différents niveaux étudiants, puis celui d’instructeur me permettant d’enseigner dans le cadre de ce diplôme. J’ai pu côtoyer lors de ces différentes épreuves des Masters of Wine qui m’ont encouragé à m’engager dans ce nouveau défi. J’ai passé quatre années et demi en apnée avec un rythme de travail très intense. En mars 2017, au terme d’une préparation de longue haleine, j’ai décroché la timbale. Entre temps, j’avais pu commencer à écrire sur le vin, j’avais lancé mon premier livre et débuté des activités de consulting. Grâce au titre de Master of Wine, j’ai pu avoir de nouvelles opportunités notamment au sein de la Kedge Wine School.

Vous aviez déjà écrit plusieurs ouvrages avant celui-ci, qu’est-ce qui vous a poussé à entreprendre ce nouveau projet ?
C’est un retour à mes premiers amours. Mon dernier livre traitait des enjeux climatiques, avec une approche un peu plus technique. Ce que j’aime avant tout, c’est raconter des histoires et c’est ce que j’ai voulu faire dans le cadre de ce nouveau projet. Il me tenait à cœur de transmettre ces récits de voyage, de rencontre et d’émerveillement. Les angles d’attaque sont multiples, géologiques, historiques, émotionnels. Pascaline Lepeltier, qui a rédigé la préface, a raison lorsqu’elle dit que c’est sûrement mon livre le plus personnel.

Le monde du vin recelle de talents, de personnalités, de styles, comment avez-vous entrepris votre choix des vignerons et propriétés qui jalonnent ce nouvel ouvrage ?
Ça s’est fait au feeling… Je suis un passionné des vins de voile, c’était une évidence de les évoquer. J’aime parler des grands oubliés, les vins doux ou fortifiés. Les insoumis, défricheurs, ou ceux qui adoptent une approche différente me plaisent aussi. La sélection s’est ainsi faîte, au gré de mes envies !

La notion de lieu a une part centrale dans votre ouvrage. Au-delà d’une dimension purement terroiriste, l’esthétique est souvent mise en avant. Quelle part occupe-t-telle selon vous dans le goût que l’on porte au vin ?
Quand on boit un vin, on boit une histoire qui débute par la terre sur laquelle il voit le jour. Le vin est un formidable moyen de transport et faire voyager les gens constituait mon envie initiale. J’ai pu remarquer qu’un grand terroir avait toujours quelque chose de très esthétique. Le travail formidable des photographes qui ont collaboré à cet ouvrage permet aussi de raconter ces lieux.
L’image dit parfois bien plus que les mots et vient en parfait complément du texte.

Votre livre est un voyage initiatique à travers les régions viticoles du monde entier, s’il ne devait en rester qu’une, laquelle garderiez-vous ?
On me pose souvent cette question et je suis toujours incapable d’y répondre (rires). Mon premier amour, ce sont les vins du Rhône septentrional. Comme je l’ai dit, je suis fou des vins doux et fortifiés. Les « vins de temps », ce qui demandent de la patience, m’animent aussi tout particulièrement. J’ai une passion pour les vins italiens et lutte fermement contre le Bordeaux bashing parce qu’un vieux Bordeaux reste exceptionnel. Enfin, je garde une fascination pour les grands climats bourguignons même si nous sommes contraints d’en acheter de moins en moins… Il y a plein d’autres choses à citer… La Loire est loin d’avoir dit son dernier mot. Je suis fasciné par un certain nombre de régions émergentes qui sont tenues par des conditions extrêmes et qui arrivent à produire des vins d’exception. Je pense au Roussillon, au Swartland en Afrique du Sud ou à Sauternes pour d’autres raisons.

Comme on vient de le dire, votre ouvrage porte une dimension très internationale du vin. Selon vous, quelle place occupent aujourd’hui les vins français dans ce panorama ?
La France reste une référence et conserve une forme de fascination particulière aux yeux des
passionnés de vin, d’ici et d’ailleurs. Pour autant, les vignerons étrangers connaissent mieux leurs
terroirs et exploitent leurs ressources avec davantage de personnalité, sans chercher à copier un
style français. Notre pays conserve malgré tout une part de romantisme à l’international…

Vous citez de grands noms du vin dans votre ouvrage, si vous deviez organiser un dernier dîner avec certains d’entre eux, quel serait le casting ?
Difficile question… Pour que le dîner soit haut en couleur et que nous buvions parmi les plus grands Chardonnay, j’emmènerai évidemment Jean-Marie Guffens. Antoine Foucault sera là aussi parce qu’il est à part, sa manière de vivre le vin est très intense. Bernard Faurie et Christophe Abbet apporteront un peu de poésie à la soirée. Lily Bollinger racontera son histoire et Katia Nussbaum son engagement environnemental, sans faille.

Votre voie porte, vous êtes un prescripteur de la filière, comment appréhendez-vous ce rôle ?
Avec le plus de déontologie et d’humilité possible, en ayant toujours en tête l’intérêt du lecteur, du consommateur et les enjeux de la filière. J’essaye toujours de valoriser ceux qui font de belles choses, avec du respect. L’idée est aussi de transmettre la curiosité pour le monde du vin, qui est sans fin…

En 2021 vous sortiez Quel Vin pour demain ? Le vin face aux défis climatiques. Quelle perception avez-vous de ces enjeux au regard des derniers millésimes souvent tourmentés ? Quels sons de cloches marquants émanent de vos voyages, de vos échanges aves les vignerons ?
Le ciel continue à souffler le chaud et le froid, et de plus en plus. La bonne nouvelle est qu’il y a de moins en moins de climato-sceptiques, même si j’en croise encore quelques uns… On est dans le dur, il faut être clair, le vin va continuer à changer. Pourtant, je reste positif, le changement climatique va nous pousser à être plus intelligent encore. Il y a une vraie prise de conscience des vignerons, les stratégies d’adaptation se multiplient. L’Homme peut être très inventif dans l’adversité.

Enfin, dernière question, s’il ne devait rester qu’une bouteille citée dans votre livre ?
Je vais être très spontané et citer un domaine qui a été, pour moi, une immense découverte. Le domaine Per Se en Argentine, dans la région de Gualtallary revisite complètement le Malbec dans un lieu absolument magnifique. On est très loin des caricatures boisées, concentrées, pour aborder des notes florales, aériennes, très élégantes. Un vrai choc de dégustation !