Jeudi 19 Décembre 2024
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27.05.2021
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Racheté au groupe Freixenet par Nicolas Feuillatte, la Maison Henri Abelé est devenue Abelé 1757. Le champagne a présenté la semaine dernière sa nouvelle identité. Terre de vins est aller rencontrer Etienne Eteneau, son nouveau chef de caves, pour en savoir davantage.
D’où vous vient votre passion pour le vin et pour le champagne ?
Je la tire de mon enfance et du vignoble familial hérité de ma grand-mère maternelle dans l’Hérault où je passais mes vacances. Évidemment, cela a d’abord été un amour platonique, à travers les livres et les conversations familiales ! Puis, j’ai fait l’Agro, et un stage de fin d’étude au service technique du Comité champagne où je me suis intéressé à la météo des sols. Séduit par la magie des bulles, j’ai cherché à découvrir d’autres approches. En Australie, j’ai été marqué par la rigueur, l’hygiène et la technicité. Cette rigueur du nouveau monde pour faire des vins techniques peut être une source d’inspiration, mais ce n’est pas forcément là où on exprime le mieux les terroirs. Après un passage par le domaine Chandon en Californie, je suis retourné en Champagne, pour rejoindre le domaine Vranken-Pommery puis l’équipe de Nicolas Feuillate aux côtés de Guillaume Roffiaen, et enfin, en 2019, la Maison Abelé 1757.
Qu’est-ce qui vous a interpellé lorsque vous êtes arrivé chez Abelé ?
D’abord le charme d’un lieu chargé d’histoire. L’univers du champagne est devenu très moderne, il peut être assez marketé. J’ai trouvé ici une forme d’authenticité dans les hommes et dans ces bâtiments qui forment un petit cocon niché au cœur de Reims. Il y a aussi cet outil à taille humaine, artisanal, qui permet d’aller dans le détail, et une vraie culture vin. Quand on a repris la maison en 2019, l’une des premières tâches a été de goûter la vinothèque. Nous ne sommes pas remontés jusqu’au millésime le plus ancien, 1929, mais au début des années 1960 où on commence à avoir des stocks importants. Nous sommes tombés sur des cuvées formidables. Je me souviens en particulier d’un blanc de blancs 1974, qu’on n’attendait pas forcément et où il y avait encore une très belle fraîcheur.
Comment définiriez-vous le style Abelé ?
Il y a dans le champagne Abelé, de la profondeur, de la persistance, une présence en bouche, avec ce côté soyeux, ces fins amers… Ce que j’aime aussi, c’est ce joli touché de bulles, très crémeux. Je pense qu’il résulte du vieillissement en cave. Les bâtiments climatisés, pour ne pas se transformer en gouffres énergétiques, maintiennent la température à 13-14 degrés, ici nous sommes à 20 mètres de profondeur dans la craie, avec des températures à 11 degrés. Les secondes fermentations sont donc plus lentes de même que les réactions enzymatiques pendant le vieillissement sur lies qui dure quatre ans chez nous. Un autre pilier du style réside dans cette expression du chardonnay, un cépage présent dans cinq cuvées sur six. Il se manifeste à travers un bel équilibre entre fraîcheur et gourmandise. Je n’appartiens pas à cette école privilégiant le côté un peu cistercien du chardonnay, très minéral et vif, qui oblige le consommateur à accompagner son champagne d’un plat. On doit pouvoir faire des champagnes qui se suffisent à eux-mêmes.
Au XIXe siècle, la Maison Abelé était très innovante, elle a été la première à adopter le dégorgement à la glace. Est-ce que cela a été un point de rencontre avec le groupe Nicolas Feuillatte ?
Sur ces innovations, j’ai un autre niveau de lecture, c’est le côté collectif de la Champagne. Antoine de Müller avant de reprendre la Maison au XIXe siècle, avait d’abord été chef de cave de la Maison Veuve Clicquot, où il avait perfectionné la technique du remuage. Il y avait un partage de connaissances, des transferts. Aujourd’hui, le comité champagne et l’AVC sont de magnifiques relais. On peut se dire aussi que la rencontre elle-même entre Nicolas Feuillatte et Abelé est innovante : voir un groupe fondé sur la culture de la coopération intégrer une maison de négoce, c’est un modèle hybride inédit en Champagne. Abelé restera en effet une maison indépendante et un vrai négociant, avec ses propres livreurs, ses propres caves, sa cuverie, ses réseaux de distribution. Elle continuera à siéger à l’Union des Maisons de Champagne. Si demain la Maison doit croître en volume, cela ne se fera pas en s’appuyant sur les approvisionnements de Nicolas Feuillatte, mais en développant de nouveaux contrats.
Justement, pouvez-vous nous décrire cette zone d’approvisionnement actuelle de la maison et vos ambitions ?
Elle représente 25 hectares et s’appuie sur la collaboration d’une trentaine de familles vigneronnes. Cela signifie que nos tirages se situent aujourd’hui autour de 200 000 bouteilles. Si la surface est modeste, elle couvre de nombreux terroirs. Les pinots noirs viennent de Verzy, Verzenay, du Sud Sézannais, et de quelques crus de l’Aube. Pour les chardonnays, nous avons Bergères-lès-Vertus – c’est un peu la côte des blancs gourmande – Pierry et le pourtour d’Épernay, le Vitryat et on retrouve encore le Sud Sézannais. Les meuniers sont issus de la vallée de la Marne et un peu du massif de Saint-Thierry. Notre ambition est de trouver 25 hectares de plus. J’adore le nord de la Montagne. Entre Ludes et Rilly-la-Montagne, il y a des choses magnifiques à aller chercher dans les meuniers et les chardonnays.
Vous avez revu l’habillage de la Maison et modifié le nom de la marque…
En effet. Notre nouveau logo a été inspiré par l’architecture des caves, la manière dont les galeries s’enchaînent. Pour le nom, nous avons retiré le prénom Henri et accolé Abelé à la date de fondation 1757. Étonnement, même si elle met en avant nos 264 ans d’histoire, la signature devient beaucoup plus contemporaine. À ma connaissance, aucune marque n’intègre dans son nom la date de fondation.
Terre de vins aime : Abelé 1757 Brut (39 €)
www.abele1757.com
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