Mercredi 26 Mars 2025
© Franck Hamel Laurent-Perrier Brut Millésimé 2015
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Date
24.03.2025
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La Maison Laurent-Perrier a fait coup double la semaine dernière aux caves Legrand, en nous présentant à la fois son nouveau chef de caves, Olivier Vigneron, et son nouveau Brut millésimé 2015, proposé pour la première fois dans le flacon Ecusson.
Le nouveau chef de caves Olivier Vigneron participe en réalité depuis déjà plus de vingt ans à l’élaboration des vins du groupe Laurent-Perrier. Issu d’une famille d’agriculteurs de la Marne, il a découvert le champagne comme beaucoup d’étudiants en faisant les vendanges, mais côté pressoir. « C’est quelque chose qu’aujourd’hui encore j’adore, être sur le quai à la réception des caisses, voir passer les raisins devant moi, les goûter ». Après une licence de biochimie à l’université de Reims, Olivier embraye sur un DNO dont il sort major en 1997. Il réussit ensuite le tour de force de faire son service militaire en restant en lien avec le monde du vin, grâce à une mission à l’Agence de l’eau sur la gestion des effluents viticoles à la grande époque de l’agrémentation des pressoirs.
À sa sortie de l’armée, il prend la direction de Bordeaux où il rejoint une propriété familiale, le vignoble Despagne. « Le lendemain de mon arrivée, Jean-Louis Despagne rachetait le château Mont Pérat, et nous passions de 200 à 300 hectares. Je n’avais que 24 ans, mais il m’a laissé faire plein de choses, je vinifiais du rouge, du blanc, du rosé, du clairet, on élaborait deux millions de bouteilles et je gérais déjà une équipe assez importante. » Deux ans plus tard, Olivier rencontre Alain Terrier qui cherche quelqu’un pour seconder le chef de caves chez De Castellane. « J’y ai passé quatre ans au bout desquels j’avais un peu l’impression d’avoir fait le tour. J’ai toujours considéré que ma vie était un éternel CDD, je veux rester maître de mon destin, donc en 2004 je suis retourné voir Alain Terrier, j’étais prêt éventuellement à partir s’il n’y avait pas d’autres opportunités. Alain devait prendre sa retraite l’année suivante, et il m’a proposé de rejoindre l’équipe de Michel Fauconnet avec lequel je me suis plutôt bien entendu. On a travaillé longtemps ensemble en toute confiance. »
Olivier Vigneron aborde sa nouvelle responsabilité de chef de caves avec beaucoup d’humilité, d’autant qu’accéder à cette fonction n’a jamais été son premier objectif « Je suis d’abord un technicien, pas forcément un communicant, j’aime être au cœur de la mêlée. » Quelques mots qui permettent de comprendre d’emblée sa proximité avec Michel Fauconnet. Ce dernier, tout en sachant très bien parler de ses vins, a toujours préféré demeurer un peu caché pour rester centré sur son cœur de métier.
Un autre trait de caractère du nouveau chef de caves est son immense respect pour le travail des vignerons. Son épouse est en effet récoltante-manipulante sur la Côte des blancs (champagne Perrot-Batteux & Filles), à Bergères-les-Vertus. « Je l’aide de temps en temps, mais je trouve que pour le métier de vigneron, avec les problèmes climatiques, il faut une résilience que je n’ai pas. C’est parfois abrupt lorsque d’un seul coup, le travail d’une année est réduit à néant. Je suis sans doute un peu trop cartésien pour me dire que même si j’ai fait le maximum, je n’ai rien. En caves, les choses sont plus simples, surtout en Champagne où nous disposons de cette palette de vins de réserve qui permettent d’amortir en partie ces aléas. »
Premier exercice pour Olivier Vigneron, la présentation du nouveau Brut Millésimé 2015. Celui-ci succède à un 2012 qui avait brillé par son caractère aérien et son équilibre. Après un tel opus, la barre était haute, mais le 2015 ne nous a pas déçus, même si son expression est très différente. « Nous ne choisissons que des années de caractère. Si bien que ce millésime est seulement le 31ème depuis le lancement de cette cuvée en 1952. » Or, de caractère, 2015 n’en manque justement pas ! « C’était une année d’abord très pluvieuse, jusqu’en avril où a débuté une sécheresse qui ne s’est achevée qu’à la mi août. Même dans les terroirs de craie où l’eau remonte d’habitude facilement par capillarité, la vigne a souffert. Mais les orages qui sont survenus à la fin de l’été ont permis de regonfler un peu les raisins qui s’étaient resserrés sous l’effet de la chaleur et du soleil. Bien qu'on ait eu une acidité assez faible à la vendange, la température modérée la nuit sur la fin de campagne a tout de même permis de garder de la fraîcheur. Je me souviens que l'épaisseur de la peau rendait l’extraction des jus assez difficile, mais que lorsque l’on passait au dessus des belons, cela sentait le fruit. Les pinots étaient très expressifs, presqu’exubérants. Quant aux chardonnays qui sont d’habitude citronnés, ils étaient davantage sur les fruits jaunes. » Michel Fauconnet interrogé par un journaliste du Figaro sur le potentiel de l’année avait eu alors des propos visionnaires, déclarant que s’il était difficile de se prononcer dès maintenant, une chose était certaine, ce vin ne passerait pas inaperçu dans les assemblages. Quant à son potentiel en tant que millésimé, il resterait en tout cas fermé longtemps.
Si la sortie de ce 2015 a été effectivement assez tardive, maintenant que le vin commence à s'ouvrir, on ne peut que constater sa qualité et surtout son tempérament. Pour les Bruts millésimés chez Laurent-Perrier, l’assemblage 100 % grands crus est toujours paritaire entre chardonnay de la Côte des blancs et pinot noir de la Montagne, toutefois le chardonnay étant le cépage iconique de la Maison, celle-ci fait d’habitude en sorte de le laisser dominer. Pour cette édition, elle a bien tenté de dompter la forte expressivité des pinots noirs en renforçant face aux crus du Sud de la Montagne (Tours-sur-Marne, Aÿ, Ambonnay), la place des pinots noirs de Verzenay situés au Nord, et ceux un peu intermédiaires de Tauxières. En vain... L’identité de l’année a été plus forte que tout et clairement c’est le pinot noir qui mène la danse avec un champagne plus concentré que d’habitude, plus structuré, offrant des notes légèrement miellées, grillées, torréfiées, une certaine structure. On garde l’élégance et la fraîcheur propres à Laurent-Perrier avec des arômes d'agrumes et d'anis, mais avec un vin qui reste quand même beaucoup plus affirmé que le style que l’on connaissait. Ce supplément de complexité élargit aussi les possibilités d'accords qui ne se limitent pas au poisson et aux fruits de mer, mais qui peuvent s'étendre aux viandes blanches rôties ou à des plats un peu épicés (Prix recommandé 79€).
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