Samedi 12 Avril 2025
Clos de Vougeot ©Serge Chapuis
Auteur
Date
11.04.2025
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Tout le monde connaît cet aphorisme « Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es », c’est le quatrième d’une série de vingt, tous aussi diserts, qui ouvrent la Physiologie du Goût de Brillat-Savarin, publié fin 1825. A partir du 4 avril 2025, le Château du Clos de Vougeot met à l’honneur l’ouvrage et son auteur en proposant une exposition : « Brillat-Savarin ou la naissance de la gastronomie » montée par la Confrérie des Chevaliers du Tastevin, sous la direction de Jean-Robert Pitte, commissaire de l’exposition, et en partenariat avec l’IGP Brillat-Savarin. Les gourmands sont prévenus !
Etonnante postérité que celle de Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755 – 1826), elle tient en effet à un livre, Physiologie du Goût, ou Méditations de Gastronomie Transcendante ; ouvrage théorique, historique et à l'ordre du jour, dédié aux Gastronomes parisiens, publié à compte d’auteur en décembre 1825, quelques semaines avant sa mort et qu’il ne signa pas de son nom, préférant la formule sibylline : « par un Professeur, membre de plusieurs sociétés littéraires et savantes ». Lui qui fut député du Tiers Etat, qui préféra l’émigration à la Constituante (et sans doute à la loi des Suspects), qui exerça plusieurs charges de magistrat, légua un aimable témoignage de bon vivant plutôt qu’une plainte romantique. Bien lui en a pris, sa plume réjouissante continue d’inspirer, dans les cuisines des recettes, et à table de plaisantes disputes gastronomiques. Ses souvenirs raisonnent dans un certain esprit français, un savoir-vivre, que l’UNESCO a reconnu dans le repas gastronomique des Français. La Confrérie des Chevaliers du Tastevin, aussi légitime que peut l’être une confrérie bachique sur ce sujet, avec l’égide de Jean-Robert Pitte, revient sur cet héritage.
« Avant d’être un fromage, Brillat-Savarin était un homme », Arnaud Orsel, l’intendant général de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin, donne le ton pour cette cinquième exposition consacrée au gastronome qui succède aux « Années vin : les années folles du monde viticole ». Et c’est tout naturellement qu’il en a confié les rênes au géographe Jean-Robert Pitte.
Outre d’être chacun « membre de plusieurs sociétés savantes », les deux hommes, notre contemporain et Brillat-Savarin, ont le Bugey en commun. C’est à l’occasion de la rédaction de son mémoire de maîtrise sur les vins du Bugey, que Jean-Robert Pitte découvre la Physiologie du Goût. « Ebloui par ce livre gourmand », il finira par consacrer une biographie à son auteur : Brillat-Savarin, le gastronome transcendant, parue chez Tallandier en 2024.
Depuis presque deux siècles, les célébrations du leg gourmand de Brillat-Savarin ne manquent pas. Or, le meilleur hommage pour un bon-vivant, c’est qu’on emprunte son nom pour une spécialité. Le brillat-savarin créé dans les années 1930 par l’affineur parisien Henri d’Androuët est un triple-crème au lait de vache à l’onctuosité et la générosité incomparables. En 2017, ce fromage a acquis ses lettres de noblesse en forme d’IGP et son succès auprès des grandes tables témoigne d’un appétit toujours vivant pour la bonne chère. Les producteurs de ce « foie gras des fromages » se sont donc associés à l’initiative de la Confrérie du Tastevin.
Inaugurée il y a quelques jours, l’exposition s’intègre, jusqu’en avril 2026, à la visite du Château du Clos de Vougeot. Les visiteurs pourront découvrir les seize panneaux dans l’ancien dortoir des moines. L’aménagement de l’ancienne cuisine du Château s’inspire de la cuisine de la célèbre gentilhommière de Brillat-Savarin à Vieu-en-Valromay (Bugey). Son fameux jardin potager a également été reconstitué et, autre objet de curiosité, une authentique cocotte en fonte du XVIIIème siècle, conçue pour la cuisson rapide sous vapeur, ayant appartenu au magistrat, est aussi exposée.
Tout au long de l’année 2025, qui marque le bicentenaire de la publication de la Physiologie du Goût, des visites thématiques et des conférences de Jean-Robert Pitte seront organisées (le programme est consultable sur le site du Clos de Vougeot).
« La gastronomie est au cœur du modèle social français. On se réunit autour de la table et on discute de ce que l’on mange » n’hésite pas à affirmer Jean-Robert Pitte. C’est ainsi que la prose joyeuse, parfois facétieuse, a traversé deux siècles grâce à ce penchant français pour la gastronomie. Enfin, que les Bourguignons s’emparent d’un sujet national de cette envergure est un excellent signal pour leur assimilation. A moins que ce ne soit l’inverse, que les Français aient adopté cette coutume bourguignonne qui consiste à ériger la gastronomie en art. Sur ce sujet, le débat reste ouvert…
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