Jeudi 26 Décembre 2024
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07.03.2022
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Après le court répit de l’année 2021, la guerre en Ukraine et le gel des relations économiques avec la Russie, en entraînant une hausse des prix du pétrole et du gaz, pourraient amorcer une récession économique. Bien qu’il soit encore difficile de se livrer à une analyse prospective, Terre de vins est allé interroger David Menival, directeur de la filière champagne au Crédit agricole du Nord-Est.
Chacun se souvient de la guerre du Golfe et de l’envolée du prix du pétrole qu’elle avait généré, provoquant la fin d’une ère d’expansion économique. Le commerce du champagne en avait été durablement affecté, la guerre en Ukraine pourrait-elle avoir le même impact ?
Ce n’est pas comparable. On ne vend plus la même chose. Depuis 2011, le champagne a vraiment réorienté ses expéditions vers des cuvées davantage valorisées, donc auprès d’un consommateur qui a un pouvoir d’achat bien supérieur. On l’observe de façon très nette en analysant les chiffres de 2021 : le niveau de vente atteint 322 millions de cols, et s’il ne bat pas le record de 2007 à 338 millions, il pulvérise celui du chiffre d’affaires avec un montant historique de 5,7 milliards d’euros contre 5 milliards en 2019 et 4,56 milliards en 2007 ! En 1991, la Champagne vivait pour l’essentiel d’un Brut sans année vendu en masse et relativement bon marché. Il existait ainsi une dépendance par rapport au prix très marquée. Le réseau de distribution n’était pas le même. Les champagnes touchés en 1991 étaient ceux commercialisés en GD ou à travers des réseaux de distribution un peu courants comme les compagnies aériennes, alors qu’en parallèle les cafés/hôtels/restaurants résistaient, parce que c’était là que l’on valorisait. On dépend aussi beaucoup moins du marché intérieur, touché à l’époque plus tardivement que l’export, mais qui avait mis plus de temps à repartir. S’ajoutent enfin les changements des modes de consommation liés au covid avec une hausse de la consommation à domicile. Dans ce cadre, on a pu voir une population riche qui aime se faire plaisir en achetant des cuvées particulières. Si on prend les mécanismes économiques classiques, l’impact d’une éventuelle hausse du coût de la vie sur ce type de population sera plus faible.
Le fait que le champagne soit consommé comme un véritable vin, pour ses qualités intrinsèques et non simplement comme une boisson festive le rend plus résistant, alors qu’autrefois dès que survenait une crise du pouvoir d’achat, il était remplacé par le mousseux dans les différents événements comme les mariages, les fêtes d’entreprise, qui constituent désormais un débouché moins important.
On n’oubliera pas d’ajouter qu’en 1990-1991, la Champagne venait d’abolir le système d’encadrement des achats et des ventes de raisin que l’on appelait le contrat interprofessionnel, ce qui avait accentué encore l’effet de la crise. Le prix du raisin du fait de cette libéralisation s’était en effet envolé, avant de chuter lourdement, suivi par une forte contraction de l’appellation.
Néanmoins, le risque économique demeure réel. Nous sommes à 140 dollars le baril ce qui est énorme ! On était à 80 au mois de janvier et c’est d’autant plus ennuyeux que l’euro dévisse par rapport au dollar, or le pétrole s’achète en dollars. Dans la zone euro, tout ceci va être très pesant et l’énergie va nous coûter très cher. Les grands gagnants pourraient être les Etats-Unis. Si avec les sanctions on suspend les achats de gaz en Russie, c’est à eux que nous devrons l’acheter. Le marché américain du champagne, qui a déjà connu un score incroyable l’année dernière à 34 millions de bouteilles, ne s’effondrera donc pas. Je ne pense pas cependant qu’il se maintienne à ce niveau exceptionnel, le chiffre s’expliquant aussi en partie par les recompositions de stocks.
Que représentent la perte du marché ukrainien et du marché russe ?
L’Ukraine importait 200.000 bouteilles, et la Russie 1,7 millions. Sur ce dernier marché, il s’agissait de flacons haut de gamme, très bien valorisés, commercialisés par de grandes marques. A la louche, le chiffre d’affaires devait avoisiner les 40 millions d’euros. Si à l’heure actuelle, les expéditions vers la Russie sont bloquées, il n’y a donc pas de quoi déstabiliser la Champagne. Par ailleurs, aucune maison ne s’était spécialisée en se focalisant exclusivement sur ce marché, comme cela peut être le cas pour d’autres pays comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis. Le plus gros désagrément concerne les maisons qui ont envoyé des bouteilles, mais qui n’ont pas encore été payées. Rappelons que swift vient d’être bloqué. Elles peuvent ne jamais revoir la couleur de ce qui leur est dû.
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