Lundi 23 Décembre 2024
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24.11.2019
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« Dans les palaces français, le saké a dorénavant sa place » : aux côtés des Grands Crus de Bourgogne ou Bordeaux, la boisson alcoolisée japonaise s’invite de plus en plus sur les tables étoilées, faisant de la France le nouvel eldorado du « Nihonshu ».
« C’est l’accord parfait, c’est magique » : une cuillère de « caviar sur gelée de concombre » dans une main, un verre à vin dans l’autre, Paz Levinson y plonge son nez comme pour humer un Pétrus ou un Margaux. Pourtant, ce qui émerveille à ce point la sommelière n’a pas la robe d’un Grand Cru mais est cristallin comme de l’eau de source. « Oui, le saké fonctionne très bien avec la cuisine française », assure Mme Levinson, sommelière en chef pour le groupe Anne-Sophie Pic.
« Le saké arrive en France, pays du vin », confirme Mme Pic. Cheffe la plus étoilée au monde (huit au Michelin), Mme Pic a commencé à cuisiner des plats au saké ou à la lie de saké, comme un chevreuil qui a fait sa réputation, avant d’inscrire des sakés sur sa carte « des vins » il y a deux ans environ, dans ses restaurants de Paris, Valence (sud-est de la France) et Londres.
Et elle n’est pas la seule : « le Ritz, le Bristol, le Plaza Athénée… Dans les palaces, ça y est, le saké a sa place », résume Xavier Thuizat, chef sommelier à l’Hôtel de Crillon, à Paris.
La haute gastronomie française, qui ne jurait jadis que par le vin, se met au saké, faisant bondir ses exportations vers la France de 161% en volume, de 2012 à 2017. Sur la seule année 2017, la croissance a atteint 58%, contre 19% pour l’ensemble du monde et 28% vers l’Europe.
La France n’est que le 11e marché au monde à l’export pour le saké, avec une consommation encore très faible : les ventes totales restent inférieures à 2 millions d’euros par an. Mais elle est championne de la croissance et devrait bientôt devenir le premier marché européen du saké, supplantant le Royaume-Uni, calcule Sylvain Huet, spécialiste du saké en France. « Sur les dix ans à venir, le marché en France va être multiplié par cinq, voire dix », prédit-il.
« Là où le vin échoue »
L’engouement pour le saké en France n’est pas nouveau : à titre d’exemple, le salon du saké, créé à Paris en 2014 par M. Huet, est devenu le plus gros événement du genre au monde, avec 5.129 visiteurs en 2019. « Les Français se sont mis à découvrir le saké il y a 15-20 ans, le boom du sushi engendrant un boom du saké. Mais il restait auparavant cantonné à la rue Sainte-Anne (le quartier japonais de Paris) et aux Français passionnés », explique M. Huet.
La nouveauté tient à ce que, de plus en plus, le saké est enfin compris pour ce qu’il est : une boisson très délicate à base de riz, qui ne titre pas plus qu’un vin, loin des plus de 40 degrés du tord-boyaux chinois, servi dans des coupoles à femmes nues, et parfois appelé « saké » alors qu’il s’agit, en fait, d’une eau-de-vie de sorgho.
Ainsi redécouvert, le saké authentique a gagné ses lettres de noblesse dans la haute gastronomie française car, parfois, rien ne vaut un saké pour accompagner un plat, même pas un vin. « Là où le vin échoue, le saké réussit », résume Xavier Thuizat. Il y a six ans, le sommelier se souvient avoir été « confronté » à une impasse : comment marier les plats « iodés, vinaigrés ou très végétaux » ? « Je ne trouvais pas la solution », explique-t-il à l’AFP. C’est alors qu’un Japonais lui conseille le saké. Depuis, cet enfant de Bourgogne, une des plus prestigieuses régions de vin au monde, est devenu un des meilleurs défenseurs du saké, et poursuit ce qu’il appelle « un devoir d’évangélisation ».
Seul le saké « peut se fondre avec l’œuf, tellement difficile à marier, le végétal, les fruits de mer… le foie gras chaud et même les fromages. C’est un caméléon », résume M. Thuizat. Devenu dorénavant expert du saké, il a fondé en 2016 le « Kura Master », un concours avec un jury 100% français qui évalue chaque année des centaines de sakés. « C’est maintenant du saké que j’amène en cadeau dans ma Bourgogne natale… Et les réactions sont bonnes! ».
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