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Le sourire de Florence Castarède s’est éteint

Florence Castarède et son père Jean avec les Mousquetaires de l'Armagnac en 2012.

Florence Castarède et son père Jean avec les Mousquetaires de l'Armagnac en 2012. ©DR

Auteur

Frédérique
Hermine

Date

20.01.2025

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Florence Castarède, l'une des figures emblématiques de l'armagnac, nous a quittés après s'être battue contre la maladie pendant des années. Elle avait pourtant su rester combative pour que sa maison familiale vieille de plus de 190 ans reste toujours pétrie de traditions et d'innovations. 

Florence Castarède, l’âme de la maison éponyme d'armagnac, s'en est allée à 63 ans. La sixième génération, l'aînée des trois enfants de Jean Castarède, économiste, écrivain et éditeur, a joué un rôle crucial dans la plus ancienne maison de négoce, familiale et toujours indépendante. Héritière d’une dynastie fondée il y a près de deux siècles, Florence Castarède incarnait la parfaite synthèse entre tradition et innovation. Après une maîtrise de gestion à Dauphine et une première expérience professionnelle, elle s'implique de plus en plus dans l'activité armagnacaise pour en prendre la direction en 1994. 

Une ambassadrice infatigable de l'armagnac

Consciente des défis auxquels fait face de plus en plus l’armagnac dans un marché mondialisé, elle s'était engagée depuis longtemps à moderniser l'image du spiritueux gascon tout en préservant son authenticité. En témoigne d'abord l’ouverture d’un showroom à Paris, à deux pas du musée Jacquemart-André, sur le boulevard Haussmann, en hommage au baron Haussmann, sous-préfet de Nérac et acteur de la création du registre du commerce. Ce lieu stratégique sert de « vitrine à nos produits, nous confiait-elle. Il permet de rester en connexion avec les importateurs, la clientèle internationale comme avec les consommateurs parisiens ». 

Florence, toujours sourire aux lèvres, s’était imposée depuis plus de trois décennies comme une ambassadrice infatigable de l'armagnac qu'elle rappelait volontiers indissociable de l'art de vivre gascon et de l'Histoire marquée par Henri IV et les Mousquetaires. Pour redorer le blason de la plus vieille eau-de-vie de France, elle n'avait de cesse de parcourir le monde pour promouvoir cette eau-de-vie encore trop méconnue hors de ses frontières. « Nous sommes une TPE, mais avec une ambition internationale », résumait-elle avec enthousiasme. « L’Armagnac est bien plus qu’une boisson : c’est une expérience culturelle et un vecteur de la joie de vivre gasconne. »

Un ancrage dans le Bas-Armagnac

Fondée en 1832, la maison Castarède est une véritable institution, reconnue en 2017 par le label prestigieux d'Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV). Elle est ancrée au Château de Maniban, à Mauléon d'Armagnac dans le Gers, acquis au début des années 80. La bâtisse du XVIe siècle au cœur du Bas-Armagnac, est entourée de 16 hectares de vignes, sur un terroir prisé pour ses sols sableux qui donnent des eaux-de-vie fines et fruitées à partir des cépages emblématiques – ugni blanc, folle blanche et colombard avant distillation et vieillissement dans des fûts de chêne locaux. Les vieillissements chez Castarède dépassent toujours les normes réglementaires : un VSOP vieilli au moins 8 ans ou un Hors d’Âge d’au moins 20 ans. La maison dispose d’une collection exceptionnelle de millésimes, plus d'une quarantaine authentifiés dont les plus anciens remontent à 1881 et 1893, pour faire découvrir aux amateurs une palette diversifiée. 

Cap sur la mixologie

Malgré un contexte difficile où la consommation traditionnelle de digestifs est en déclin depuis le début du siècle, Florence Castarède s’efforçait de séduire un nouveau public en adoptant une vision contemporaine sans oublier l'histoire. Présente dans plus de 60 pays (les deux tiers du chiffre d'affaires de l'entreprise), la maison Castarède est présente sur les plus grandes scènes internationales, des restaurants étoilés aux bars de luxe en passant par une sélection de cavistes. Le partenariat avec le distributeur Diva Spirit France depuis 2013 avait permis d’étendre sa présence, notamment sur les belles tables et les cavistes de l'Hexagone.

Innover pour inscrire l’Armagnac dans l’air du temps

Elle avait été nommée Conseillère du Commerce Extérieur de la France en 2014. Elle avait très tôt, il y a une douzaine d'années, compris l'intérêt de la communication, d'un site internet et des réseaux sociaux. Car Florence Castarède ne se contentait pas de préserver le passé : elle savait innover pour inscrire l’Armagnac dans l’air du temps. Elle avait adopté une stratégie moderne, axée sur le marketing et l’innovation, usant du storytelling s'inspirant des racines historiques.

Florence Castarède sur le salon Prowein en 2022
Florence Castarède sur le salon Prowein en 2022. ©DR

Parmi les dernières créations, la cuvée Cigare, un ténarèze de 25 ans d'âge dans un étui en bois avec bague rappelant les cigares cubains ; le VS 42,5°, un spiritueux vieilli au moins trois ans en fûts de chêne particulièrement aromatique conçu spécialement pour les cocktails ; la gamme au packaging décalé et humoristique, dédiée aussi à l'utilisation en cocktails et baptisée Gaspard de M du nom du premier président du Parlement de Toulouse en 1722, Joseph Gaspard de Maniban qui avait participé à l'expansion de l'armagnac. Des nouveautés pour répondre à la demande des bartenders. L'armagnacaise était d'ailleurs convaincue que l’avenir de l’Armagnac passait par la mixologie. De Paris à la Nouvelle-Orléans, les créations de Castarède s'invitent désormais dans les bars les plus prestigieux, allant jusqu’à intégrer des millésimes rares dans des cocktails d’exception comme le 1893 dans le Centenary Sazerac. 

Toujours ouverte à l'innovation

Pour cette utilisation, Florence avait également mis en avant la blanche d'armagnac et demandé la création de cocktails originaux aux mixologistes Jérôme Vallanet, Kevin Govindin, au Syndicat et même au célèbre Colin Field, au Ritz à l'époque et qui avait créé pour la maison Le Hemingway Bar. Une véritable collection de cocktails qui jouait sur toute la gamme. L'introduction de concepts comme le Brut de Fût, des armagnacs non dilués provenant exclusivement du domaine, témoigne encore de cette capacité à innover. En 2023, pour fêter les 190 ans de la Maison, plutôt que d'adopter un flacon statutaire, elle avait misé sur la nouvelle bouteille novatrice en lin de Green Gen pour une première vendange 100 % baco, un jeune armagnac issu des vignes de Maniban et distillé dans l'alambic de 1923.

« Pour continuer à relever les nouveaux défis qui s’annoncent, et notamment ceux apportés par le dérèglement climatique, la pollution et l’épuisement des ressources, j’ai investi il y a sept ans dans la Green Gen Bottle confectionnée dans un matériau qui utilise une technique de pointe, nous avait-elle confiée à France Quintessence. C'est le contenant le plus écoresponsable possible, 100 % biosourcé et biodégradable, et dont le bilan carbone est fortement réduit ». Elle était ainsi parmi les premiers à croire à ce nouveau flacon dans l’univers des spiritueux. « Il faut vivre avec son temps et préparer l’avenir, un futur qui doit prendre soin de la planète. Cette prise de conscience doit passer par des actes et c’est mon devoir de transmission. » 

Une messe sera célébrée mercredi 22 janvier en l'église Saint-Augustin (Paris - 8ᵉ) à quelques mètres du showroom de la maison. Nous adressons nos sincères condoléances à son mari Hubert Lebaudy, son fils Maximilien et à toute sa famille.