Dimanche 22 Décembre 2024
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27.02.2023
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En 2022, le château Dauzac, 5ème Grand Cru Classé de Margaux, a reçu le Prix Spécial "Vignoble Engagé" dans le cadre des Trophées Bordeaux Vignoble Engagé. À l'heure du coup d'envoi de la cinquième édition des trophées, Laurent Fortin, directeur général de Dauzac, revient sur cette distinction qui a salué plusieurs années d'efforts sur le développement durable.
Le Prix Spécial reçu l'année dernière par Château Dauzac est venu saluer plusieurs années d'engagement environnemental pour la propriété. Pouvez-vous nous retracer l'ensemble des actions que vous avez mises en place ?
C'est un projet qui s'est étalé sur plus d'une décennie. Nous avions écrit dès 2012, avec l'ancien actionnaire de Dauzac qui était la MAIF (la propriété a depuis été rachetée par Christian Roulleau, NDLR), un plan "Ambition 2020" qui traçait des perspectives économiques, viti-vinicoles mais aussi environnementales. La première étape a été l'arrêt complet de tous les traitements CMR (Cancérogène, Mutagène et Reprotoxique), de l'usage des herbicides, antibotrytis et autres traitements chimiques (nous faisons réaliser chaque année une analyse de résidus potentiels dans nos vins par le laboratoire Excell que nous mettons à disposition de chacun). Nous avons aussi continué le développement de la confusion sexuelle pour lutter contre le ver de grappe, la plantation de haies indigènes au Médoc pour relancer la biodiversité et attirer chauves-souris et oiseaux afin de lutter contre les ravageurs de la vigne, de la plantation de fleurs elles aussi indigènes pour aider à l'activité des abeilles, accompagnée de l'installation de 18 ruches... Nous avons essayé d'avoir une réflexion à 360° sur toutes nos pratiques, jusqu'à troquer nos tondeuses thermiques contre onze tondeuses électriques, planter des plantes et des herbes ne nécessitant pas trop d'eau, rénover tout l'outil technique pour le millésime 2014 avec des éclairages moins énergivores, des procédés d'économie d'eau tout au long de l'année, la réduction de notre empreinte carbone... Nous avons très rapidement intégré le SME, Système de Management Environnemental des vins de Bordeaux, dès 2012, mais aussi lancé une politique RSE avec des indicateurs solides qui nous servent aussi à échanger avec les banques et autres institutionnels avec lesquels nous travaillons.
Vous avez aussi engagé le vignoble vers le bio et la biodynamie...
On a en effet amorcé depuis plusieurs années une conduite du vignoble qui s'est approchée au plus près du cahier des charges bio et de la biodynamie, d'ailleurs nous lançons cette année une conversion Demeter. Nous sommes aussi labellisés vegan, puisque nous n'utilisons plus de blanc d'œuf qui a fait des milliers de kilomètres pour le collage de nos vins mais des pommes de terre déshydratées venues des Landes. Nous faisons depuis huit ans des essais avec des micro-algues sur les vignes pour réduire notre quantité de cuivre dans les traitements. Tous les détails comptent : j'ai fait passer l'intégralité de la propriété en réserve de chasse, non pas que nous ayons quoi que ce soit contre les chasseurs, mais nous souhaitons privilégier la biodiversité, qui s'est réinstallée sur la propriété. Nous avons 120 hectares d'un seul tenant et en dix ans, nous avons pu voir les effets vertueux de toutes ces démarches. Nos réflexions nous ont également amenés à renoncer à l'installation de panneaux photovoltaïques car ils sont très compliqués à recycler, donc nous avons d'autres pistes sur les économies d'énergie et la réduction de notre empreinte carbone - d'ailleurs nous allons sortir une cuvée "zéro carbone". Je suis adepte du Kaizen, la philosophie japonaise qui prône l'amélioration perpétuelle, et c'est valable pour notre engagement environnemental à Dauzac.
Après avoir déjà conquis tous ces points, quels sont vos autres projets environnementaux pour Dauzac dans les années à venir ?
Le vrai défi qui arrive est celui de l'économie de l'eau. À l'heure où nous échangeons, cela fait un mois et demi que nous n'avons pratiquement pas eu de précipitations, à Bordeaux comme en Provence. La gestion de nos ressources en eau va être la question primordiale des années à venir, et avec elle l'adaptation de notre matériel végétal (notamment les porte-greffes) aux contraintes du changement climatique. Il va falloir être également très précis dans nos traitements, dans les apports que nous allons apporter à la vigne en fonction de ses besoins, de ses carences, ce qui va nécessiter une étude au cep près - et donc la technologie qui va avec. Cela va s'accompagner d'un changement sociétal en profondeur : d'ici vingt ans les vignerons vont devoir apprendre à travailler avec la robotique, avec l'intelligence artificielle, avec les exosquelettes... Aujourd'hui on utilise des iPhone et des iPad pour analyser la surface foliaire et la vigueur de la vigne mais on n'est qu'aux balbutiements des évolutions technologiques à venir. Dans tous les cas, l'écologie ne se fera pas sans l'humain, sans la prise en compte de son confort de travail.
Quel regard portez-vous sur les Trophées Bordeaux Vignoble Engagé et sur la façon dont ils accompagnent la transition environnementale du vignoble bordelais ?
Malheureusement, il y a un Bordeaux à deux vitesses : un Bordeaux qui a les moyens d'être innovant, de faire des investissements, de regarder ce qui se passe ailleurs, et un Bordeaux qui souffre, qui est en grande détresse et n'a pas la possibilité de se poser toutes ces questions. Lorsque l'on dit qu'il faut arracher 10 000 hectares, en réalité il faudrait en arracher trois fois plus. Les vignerons qui subissent la crise n'ont pas les moyens de passer en bio ou en biodynamie, il faut du personnel, des équipements... J'aimerais que tout le monde aille à la même vitesse vers une viticulture vertueuse mais cela n'est pas actuellement le cas. Et pour répondre complètement à votre question, je ne pense pas que les Trophées Bordeaux Vignoble Engagé, qui nous ont récompensé l'année dernière, soient un aboutissement ; au contraire, ils sont un encouragement. Un encouragement à faire mieux, à se remettre toujours en question, ne pas rester sur ses acquis, continuer à donner l'exemple, toujours dans cette philosophie du Kaizen qui m'est chère.
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