Accueil L’Hôtel du Marc de Veuve Clicquot, entretien avec le pape du design, Bruno Moinard

L’Hôtel du Marc de Veuve Clicquot, entretien avec le pape du design, Bruno Moinard

Auteur

Yves
Tesson

Date

14.10.2022

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Les journées particulières de LVMH ouvrent au grand public les 14, 15 et 16 octobre les lieux les plus sélects du groupe, réservés d’habitude aux amis des Maisons. En Champagne, on ne manquera pas l’Hôtel du Marc de Veuve Clicquot, rénové voici dix ans par le designer Bruno Moinard qui a accepté de nous commenter son travail.

Quel a été votre plus grand challenge pour réaliser cette restauration ?

L’une des principales contraintes, c’est qu’un lieu qui reçoit du public nécessite des sas de sécurité, des portes coupe feux, des choses inesthétiques et difficiles à maquiller lorsque l’on souhaite garder un hôtel particulier dans son jus et pouvoir continuer à se dire que si la famille n’est plus là, elle a bien vécu ici. J’ai voulu ainsi injecter une modernité un peu théâtrale de maison habitée de nos jours mais qui laisse peut-être le souvenir du passé. Je me suis ainsi appuyé sur des artistes comme les frères Campana ou Pablo Reinoso (auteur de ce banc extraordinaire qui part en liane) pour donner une énergie moderne dans un endroit classique, mais en faisant en sorte que cela reste un lieu de convivialité.

Vous nous faites visiter ?

Il y a d’abord l’entrée avec cette marquise en verre sombre, en référence aux bouteilles de champagne, tandis que les festons autour renvoient à la forme des bulles. Puis vous arrivez dans le lobby avec ce grand escalier d’origine qui donne d’emblée envie de monter à l’étage et de voir les chambres. C’est un peu comme si je l’avais trempé dans le pinot noir, et que je l’avais ressorti par le haut. La partie supérieure, une fois extraite de cette encre violette, est restée claire à la manière d’un buvard, tandis que la partie basse est plus sombre. On a ainsi une sorte de dégradé des murs et du tapis jusqu’au sol qui nous raconte déjà l’histoire du champagne.

Sous cet escalier, il existait un passage pour aller dans le jardin ou la cuisine. J’y ai placé un vestiaire. Lorsque l’on reçoit, les laquais sont placés là pour recevoir les invités. Dans la pénombre, la lueur des chandelles se réverbère dans le paravent. Celui-ci est en effet en verre bullé, un verre traditionnel et artisanal argenté, un peu opaque, à la manière de ces vieux miroirs de château qui ont perdu leur teinte. On est dans quelque chose de fascinant où la lumière vient se prendre à l’intérieur, le vestiaire devenant lui-même une sorte de luminaire.

Vous pénétrez après dans la bibliothèque. L’évocation est ici celle du voyage. Rappelez-vous que Madame Clicquot envoyait les premières bouteilles de champagne roulées dans des tapis dans des pays aussi lointains que la Russie. Nous avons donc créé cette étonnante autruche qui porte une scelle ! L’animal un peu intrus symbolise l’extravagance de l’époque.

Le salon suivant est plus clair, plus chaleureux et convivial. On y est accueilli comme à la maison, avec des œuvres d’art au mur, des sculptures, un feu dans la cheminée, des canapés droits, d’autres arrondis, tous dessinés spécialement. Lorsque l’heure du dîner sonne, on ouvre les portes sur une grande salle à manger. Elle existait déjà, mais en chêne sombre, marron, un peu plombante. J’ai eu l’idée de tout teinter en noir et de faire des réchampis, en rehaussant simplement les petites moulures avec un peu d’or cuivré pour les souligner, mais pas quelque chose de très contrasté et léché, non, quelque chose de passé, un peu comme au crayon…  Autour de la grande table, elle aussi laquée en noir, les 18 sièges égyptiens sont un héritage de la famille, je les ai tapissés avec du crin de cheval noir, des dessins géométriques cuivrés tous un peu différents, ce qui anime l’ensemble et enlève une certaine monotonie.

Le dîner achevé, l’espace atelier modulable où trônent aujourd’hui un piano, un babyfoot XXL à 8 joueurs et un bar, promet de belles « after-parties ». Dans cet endroit un peu sombre, nous avons demandé à des artistes de façonner des néons en forme de pampilles, pendants modernes de l’immense lustre de la salle à manger. Pour avoir travaillé souvent pour des grands hôtels, je sais que tout ne peut jamais être parfait, mais ce qui peut l’être, c’est la poésie avec laquelle on travaille les lumières.

Enfin, à l’étage, une succession de chambres thématiques le long de la galerie des portraits raconte la pérégrination mondiale de la marque, chacune rendant hommage à un marché historique.

Horaires de visites : vendredi de 16 h à 18h 20 Samedi et Dimanche de 10 h à 17 h 40. Gratuit et sans réservation.

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