Samedi 21 Décembre 2024
(photo Corbeyran)
Auteur
Date
16.07.2019
Partager
Commercialisée 30 000 €, cette cuvée du domaine bordelais en AOC Graves, première exclusivement créée à partir de vignes préphylloxériques, pulvérise tous les records tarifaires, même celui de la légendaire Romanée Conti. Rencontre avec son créateur, Loïc Pasquet.
« La rareté fait le prix des choses » disait l’écrivain romain Pétrone. Voilà un dicton que Loïc Pasquet, le vigneron du très confidentiel domaine Liber Pater, sur 2,3 ha à Landiras, dans les Graves, semble bien avoir fait sien. Vin de Bordeaux au prix le plus élevé l’an dernier, entré parmi les vins les plus chers au monde en 2018 selon le site Wine Searcher, Liber Pater est désormais avec cet assemblage 100% franc-de-pied la bouteille la plus chère au monde sur le millésime 2015. Avec ses 30 000 €, cette cuvée affiche un prix multiplié par sept par rapport aux précédents millésimes de la propriété (déjà vendus entre 4000 et 5000 €), et près 10 000 € de plus que le monopole du domaine de la Romanée Conti 2015, selon Wine Searcher.
Loïc Pasquet, expliquez-nous : comment se justifie un tel prix ?
Il y a seulement 250 bouteilles de cette cuvée à la vente, et c’est la première fois qu’on est 100% en franc-de-pied, donc sur un assemblage de cépages historiques de Bordeaux non-greffés, comme la petite-vidure, le petit verdot, le malbec principalement, pour l’assemblage de ce 2015. Cette cuvée, c’est un peu comme une œuvre d’art éphémère, les gens veulent goûter ce qui n’existe plus, vivre une expérience unique. Pour fixer ce tarif, j’ai vu les demandes sur ce millésime, j’ai vu ce que j’avais à offrir, et les gens ont acheté. C’est le principe de l’offre et de la demande, tout simplement.
En terme de style de vin, que changent ces cépages préphylloxériques ?
Avec ces cépages autochtones cultivés sur les terroirs qui les ont vus naître, on arrête de faire de la viticulture sous forme de gestion de surfaces agricoles, et on redevient vignerons, c’est passionnant. On retrouve le goût du vin. Il y a une finesse qu’on avait complètement perdue. Un vin franc-de-pied est très fin, comme un nuage, d’une grande pureté, et déploie toute une palette aromatique florale avec des notes de violette, de rose… Ça décrit bien ce dont Jean-Jacques Rousseau parlait quand il disait « quand je vais dans le Médoc je bois des violettes », là où aujourd’hui vous buvez plutôt des cerises et des cassis… Je n’utilise plus de bois, car les tanins exogènes de la barrique font disparaître cette finesse. Tout est vinifié et élevé en jarres de grès. Même moi qui avais lu la littérature sur les vins préphylloxériques, je n’imaginais pas un écart si immense. Quand on a goûté un vin si fin, on a du mal à revenir sur autre chose.
Quelles réactions a suscité l’annonce de ce prix très élevé ?
Le vin est en vente depuis plus d’un an, les allocations déjà quasiment toutes distribuées, mais normalement cette info ne devait pas sortir avant septembre. Elle a fuité par un client qui a acheté une bouteille, et l’a mise sur Wine Searcher… Directement, toute la presse internationale m’a appelé. Je trouve l’ironie de l’histoire très drôle : avec ce 2015, pile 160 ans après le classement de 1855, c’est finalement un bordeaux replanté comme avant le phylloxéra qui est en train de s’imposer, c’est un sacré clin d’œil !
Cette cuvée à ce tarif, n’est-ce pas aussi une façon de vous payer un coup d’éclat marketing, en affichant notamment un prix plus cher par exemple que la mythique Romanée Conti ?
Le marketing, je n’y connais rien, ce n’est pas mon métier. Et puis je ne suis pas dans une compétition avec la Romanée. Je connais bien Aubert de Villaine, nos vins sont sur des positionnements différents. La Romanée c’est 4000 bouteilles, Liber Pater 250, la Romanée est un monocépage, Liber pater un multicépages… Je dirais que la Romanée c’est un peu du Chopin, et Liber Pater du Mozart. L’un est-il mieux que l’autre ? Je n’en sais rien, ce sont les goûts de chacun, moi j’aime les deux. J’aime bien me lever en écoutant Mozart et me coucher en écoutant Chopin.
Comptez-vous réitérer cette cuvée, et si oui, au même tarif ?
Oui, mais certainement en plus gros volumes, à terme. Ce sera donc sûrement un peu plus accessible, mais pas terriblement plus bas, car les vins qu’on proposait déjà avant, à 4000-5000 €, n’étaient non plus bon marché. On verra ce que le marché dira sur le millésime 2018, mais je ne suis pas inquiet, car on ne fera pas non plus 10 000 bouteilles. Même si le « Bordeaux Bashing » existe, les grands collectionneurs recherchent des vins de Bordeaux de terroir, de haut-lieu, avec une adéquation cépage-terroir, comme ce Liber Pater 2015.
Articles liés