Samedi 21 Décembre 2024
Réinterprétation du chapeau de Napoléon par Laetitia Baqué et Victor Molinié © J. Burton
Auteur
Date
28.06.2024
Partager
Qu'est-ce qui unit Laetitia Baqué et Victor Molinié, brodeurs et designers, à une Maison de Champagne pluri-centenaire comme Moët & Chandon ? Le rapport au temps. Pour matérialiser cette rencontre, ils ont créé ensemble une exposition installée au siège historique de la Maison à Epernay.
« Haute œnologie », tel est le sous-titre de la nouvelle Collection Impériale initiée en 2023 pour célébrer les 280 ans du champagne Moët & Chandon, une Maison qui n’hésite pas ainsi à afficher son ambition, celle d’être capable d’incarner aussi bien une gamme élégante de prêt à porter avec son Brut Impérial, que des cuvées haute couture, artisanales… C’est aussi tout le sens de l’exposition dont le vernissage a eu lieu mercredi dernier, baptisée « Memories of Tomorow ». Elle est l’œuvre de Laetitia Baqué et Victor Molinié, brodeurs et designers textiles, peu connus du grand public mais qui sont depuis une dizaine d’années les collaborateurs discrets des plus grandes maisons de couture (Jean-Paul Gaultier, Fendi, Givenchy, Schiaparelli, Valentino…). L’une de leurs créations a même été portée par Jennifer Lopez lors de son spectacle donné à l'occasion du super bowl 2020 au Hard Rock Stadium de Miami.
Les deux artistes se sont plongés dans l’univers de la maison et ont produit onze pièces qui symbolisent les étapes clef de son histoire. Chacune a nécessité des centaines voire des milliers d’heures de travail et l’appui d’une trentaine d’artisans.
La plus belle œuvre de la collection est sans doute la réinterprétation du bicorne de Napoléon. « Inspirés par le paysage sparnacien, le duo Baqué Molinié, a vu dans ce chapeau une colline, une représentation de la topographie champenoise. » Jean-Remy Moët, ancien maire d’Epernay, eut l’honneur d’héberger chez lui l’empereur et de lui faire visiter ses caves. Depuis, la Maison collectionne les objets ayant appartenu à cette grande figure historique. Parmi eux, son chapeau, acquis par Robert-Jean de Vogüé lors d’une « croisière impériale » organisée à bord du France en 1969, où il fut mis aux enchères. Cette opération de relation publique s’avéra très rentable. Pour l'anecdote, à l’époque, on avait jugé que l’investissement avait été cinq à six fois compensé par le nombre de citations gratuites dans la presse. La transaction avait cependant suscité l’émoi des représentants de la CGT. Le syndicaliste Maurice Leflond avait même composé un poème à l’intention de Gaston Martin, le délégué des cavistes de la Maison "Mon vieux Gaston/Ta casquette vaut bien le chapeau de l’empereur". Mais pas de quoi entacher l’amitié qui unissait Gaston Martin et Robert-Jean de Vogüé, lesquels n’étaient peut-être pas du même bord, mais avaient le même objectif et la complicité de deux vieux compagnons de route, s’affrontant et se réconciliant au quotidien, à la manière de Peppone et Dom Camillo.
« L’éventail » est un clin d’œil amusant à la marquise de Pompadour. Aujourd’hui, on qualifierait cette personnalité du XVIIIe siècle « d’influenceuse » tant chacun de ses faits et gestes était imité. Le goût pour le champagne de la maîtresse de Louis XV a beaucoup contribué au succès en cour de Moët & Chandon. On lui prête cette fameuse citation selon laquelle « le champagne est le seul vin qui laisse la femme belle après boire. » On remarquera que les pales ont été façonnées « comme des rangées de vignes traversées par le vent, dans lesquels se dévoilent raisins, feuilles et sarments ».
Mais le champagne n’est pas seulement un univers de paillettes. Il fallait aussi rendre hommage à l’humble et patient labeur du vigneron. Quel plus beau symbole pour cela qu’un buste de cheval, ce compagnon de tous les jours qui l’accompagnait jusqu’à une époque encore récente dans presque tous ses travaux, du labour au transport des raisins ? « Brodé de motifs baroques suggérant une vigne maitrisée, la pièce est une interprétation du savoir-faire de l'homme grâce à l’animal. »
On saluera enfin la profondeur philosophique de l’œuvre dédiée au passage du temps. Comment représenter en effet ces trois siècles écoulés qui ont construit la maison, mais aussi les différentes strates aromatiques apportées par chaque année passée en cave aux vieux millésimes qui y murissent ? Les deux artistes ont eu l’astuce de figurer la tranche d’un tronc de chêne centenaire dont chaque cerne marque une année passée. L'épaisseur du temps apparaît alors dans toute sa magie. C’est d’ailleurs l’élément clef qui a touché Laetitia Baqué et Victor Molinié dans leur rencontre avec le champagne : « il faut du temps pour produire du champagne comme il faut du temps pour créer une broderie. C’est ce rapport au temps qui confère à vos champagnes, tout comme à d’autres artisanats, une dimension luxueuse. Cette exposition Memories of tomorow doit ainsi se lire tout simplement comme une invitation à prendre le temps. »
Articles liés