Jeudi 26 Décembre 2024
Dans les cuisines de l'Auberge, Cyril Coniglio entouré de chefs au col tricolore, dont M. Paul.
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26.01.2018
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La disparition du plus emblématique des chefs français a suscité une immense émotion dans le monde de la gastronomie. Les sommeliers, tout aussi touchés, n’ont rien oublié de leur séjour à Collonges-au-Mont d’Or alors que les obsèques seront célébrées ce vendredi 26 janvier.
Ce lundi 5 novembre 1984, Yann Eon n’est pas près de l’oublier. « Ce jour-là j’ai débuté ma période d’essai chez M. Paul qui accueillait pour la première fois un sommelier. Jamais depuis 1965 et l’attribution de la troisième étoile, il n’avait ressenti le nécessité d’en compter un en salle. A travers nous, il avait l’image de gens qui ne pensaient qu’à vendre des vins très chers, ce qui n’était pas sa politique. » Quelques semaines plus tôt, le jeune sommelier de 23 ans avait passé un étonnant entretien d’embauche alors qu’il était en poste au Juana. « Mme Richard, célèbre fromagère lyonnaise, venue comme cliente avait parlé de moi à Paul Bocuse. Il est venu à son tour prendre un repas, m’a posé des questions de manière anodine et à la fin m’a proposé de le rejoindre à Collonges… » Difficile à refuser.
Embauché après seulement dix jours de présence, Yann Eon a finalement passé 14 ans dans cette maison. « Je me suis imposé tout doucement car jusque-là le vin était l’affaire des maîtres d’hôtel. La cave se trouvait alors sous le restaurant et j’en suis tombé amoureux. Il y avait de la quantité, 25.000 bouteilles, et de la qualité notamment en Bordeaux avec encore le fruit des achats de M. Bocuse père à l’image de Léoville-Poyferré 1871 et 1872. Avec Petrus et Haut-Brion, la collection de millésimes était impressionnante aussi car M. Paul achetait tous les ans en primeur. »
En revanche le choix était beaucoup plus limité en côtes du Rhône avec quatre blancs et sept rouges. Une région que le sommelier a développée. « J’avais carte blanche pour les achats mais je voulais qu’il participe à la sélection alors on goûtait très souvent ensemble. Il profitait aussi de ses passages en cave pour voir le niveau des cartons et me demandait parfois de me calmer un peu… »
De ce long séjour au service d’une cuisine classique qui rendait « assez simple le travail des accords », Yann Eon se souvient du repas servi pour les 25 ans de trois étoiles. « Avec le rouget écailles de pommes de terre, j’ai proposé le Condrieu de Georges Vernay. Un mariage validé aussitôt par Alain Senderens qui était l’un des invités… »
En 1998, Yann Eon a quitté Collonges-au-Mont-d’Or pour suivre une formation qui aurait pu faire de lui un vigneron mais il est finalement devenu agent commercial en vins toujours dans la région lyonnaise.
Ci-dessous : François Pipala, directeur de salle, et Yann Eon, premier sommelier de l’Auberge du pont de Collonges, entourant Paul Bocuse.
« Le Beaujolais correspondait à son image »
Pendant cinq ans John Euvrard a été l’adjoint de Yann Eon avant de prendre sa suite en 1998. « Je n’ai pas eu vraiment le choix. Alors que j’avais envie de voler de mes propres ailes et notamment de connaître une expérience à l’étranger, M. Paul m’a annoncé le départ de Yann et en même temps que je lui succédais. Au total j’ai passé quinze ans dans cette maison, ce qui est presque rien alors qu’on trouve en cuisine ou en salle des gens qui sont là depuis trente ans ou plus. »
Comme son prédécesseur, celui qui est devenu MOF sommelier en 2007 a voulu faire évoluer la carte. « Il n’était pas question de tout chambouler et surtout pas de tourner les pages écrites avant avec des amis vignerons de M. Paul. Je voulais plutôt continuer à mettre en avant plus de vins de propriétaires et j’ai développé la sélection du sud-ouest où je travaillais auparavant. Je me suis orienté aussi vers des vignerons travaillant en biodynamie comme Richard Leroy ou Guillaume Pire. Il y avait une réelle liberté mais les contrôles de gestion étaient réguliers aussi. »
John Euvrard se souvient aussi « d’un buveur modéré qui aimait le vin sans en avoir une culture très forte. Quand il partageait un repas avec des amis, il s’installait à l’écart dans un salon et pouvait nous demander d’ouvrir de très belles bouteilles. Mais ce qu’il recherchait avant tout c’était des vins simples, francs, honnêtes. Le complexité n’était pas une priorité. Il appréciait des vins qui lui ressemblent et à ce titre le Beaujolais correspondait à son image parce qu’il était aussi un vin de partage par excellence. »
Toutefois pour accompagner la célèbre poularde demi-deuil en vessie il fallait changer de registre comme s’en souvient encore son ancien chef sommelier. « On restait toujours dans le classicisme en allant cherchait les grands terroirs de blancs comme le Puligny Les Folatières du domaine Anne-Claude Leflaive qui devait cependant avoir plus dix ans. En Bordeaux blanc nous avions aussi la chance de pouvoir proposer des Laville Haut-Brion de plus de vingt ans. Mais on pouvait aussi opter pour une vieille Coulée de Serrant de Nicolas Joly. »
Des souvenirs que John Euvrard peut partager avec les acteurs des formations qu’il dispense aux côtés de Franck Thomas ou les clients de sa cave lyonnaise baptisée John Euvrard Sélection.
Ci-dessous : il y a vingt ans, John Euvrard et Paul Bocuse devant une belle collection de guides Michelin.
« Des millésimes symboliques »
Cyril Coniglio, aujourd’hui caviste à Pont-de-L’Isère (Rhône Magnum), a intégré la famille Bocuse en 2000 et a occupé le poste d’assistant de John Euvrard pendant un peu plus d’un an. « J’ai trouvé une maison dans le même esprit que La Pyramide, à Vienne, où j’officiais auparavant. Mais bien entendu, en matière de vins les stocks étaient plus importants avec en particulier des millésimes datant du début du XX° siècle. En fait, M. Paul aimait avoir dans sa cave des millésimes symboliques. C’était le cas avec des Bordeaux de 1926, son année de naissance, puis les dizaines terminant par six. L’année 1955 était très bien représentée aussi, c’était l’année du décès de Fernand Point, son mentor, et c’était une façon de lui rendre hommage. De ce passage à Collonges, j’ai gardé de nombreuses étiquettes et notamment celle d’un Nuits-Saint-Georges 1955 de Faiveley. »
Cyril Coniglio reconnaît bien volontiers que c’est au cours de ce séjour qu’il a eu la chance de goûter les bouteilles les plus prestigieuses, « tout simplement parce qu’elles se vendaient ! ». Et avec la fameuse soupe VGE, il se souvient d’accords qui s’imposaient d’eux-mêmes. « En Bourgogne ou bien en Hermitage, il fallait des blancs avec un peu d’âge, de la rondeur et des notes de sous-bois et de champignons pour bien répondre à la puissance de la truffe. »
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