Accueil Actualités Payer son assurance en vin ? C’était possible au XVIIIe siècle en Champagne

Payer son assurance en vin ? C’était possible au XVIIIe siècle en Champagne

Ancienne pompe à incendie dont a équipé toute la Marne l'ancêtre de CMMA Assurance depuis le XVIIIe siècle

Ancienne pompe à incendie dont a équipé toute la Marne l'ancêtre de CMMA Assurance depuis le XVIIIe siècle

Auteur

Yves
Tesson

Date

25.06.2024

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Le vin a toujours eu une vocation sociale. Chacun connaît les hospices de Beaune et leur fameuse vente aux enchères. Mais saviez-vous que le même principe existait en Champagne au XVIIIe siècle, au profit des caisses mutuelles d’assurance ? À l’occasion des 250 ans de CMMA Assurance, Terre de Vins vous raconte cette formidable épopée, à laquelle beaucoup de maisons de champagne participèrent.

La Champagne au XVIIIe siècle est ravagée par de violents incendies. L'explication ? Les plaines immenses et dénudées sont balayées par les vents ce qui accélère la propagation des flammes. Les rivières sont rares et l'eau difficile d'accès. Enfin, les constructions en bois et en torchis sont éminemment inflammables. Souvent, lorsqu’une maison brûle, c’est tout le village qui part en fumée. Des hordes de vagabonds parcourent alors la région, mendiant de porte en porte. Profitant de la situation, de faux incendiés abusant de la générosité des citoyens, commencent à pulluler. Face au désordre, les évêques de Champagne créent les toutes premières caisses d’assurance de France. Les curés de chaque village sont chargés d’organiser des quêtes qui alimentent des fonds communs gérés par les évêques de Langres, Troyes, Châlons et Reims.

On est encore à la frontière entre institution de charité et organisme d’assurance mutuelle, car ces caisses n’indemnisent pas qu’en fonction des dégâts, mais aussi des ressources des sinistrés pour s’en relever. Si vous êtes riche, peu importe que vous ayez beaucoup contribué, vous serez sans doute moins couvert ! Déjà habiles agents d’assurance, les curés savent choisir opportunément le moment de leurs collectes. Le mieux est d’attendre la période qui suit la récolte, lorsque les paysans ont reconstitué leur épargne, et selon que l’on se trouve dans des « pays à grains » ou des « pays à vignobles », les dates diffèrent. À l’époque, la monnaie circule peu dans un monde rural dont le modèle est encore en grande partie fondé sur l’autosubsistance. Pour faciliter les prélèvements et avec l’aide du pouvoir royal, la caisse de Reims obtient la possibilité de recevoir les contributions de ses adhérents en nature. En 1786, faisant suite à une demande de l’évêque de Reims, Louis XVI accorde même une défiscalisation des dons en vins, qui seront revendus aux enchères par les curés des paroisses, à charge ensuite pour l’administration de restituer les aides perçues sur la marchandise.

En étudiant les archives, on s’aperçoit que si l’appellation n’existait pas encore, la production et le commerce du vin étaient déjà très encadrés par la régie et le buraliste de chaque district, si bien que la charge administrative était lourde pour les prêtres qui devaient indiquer de manière exacte les lieux de stockage et les volumes entreposés.

On soulignera que ce système de ventes de charité dans le monde du vin était très innovant, plaçant la Champagne au XVIIIe siècle à l’avant-garde. Les enchères des hospices de Beaune lui sont bien postérieures, elles n’ont été créées qu’en 1859, presqu’un siècle plus tard !

Très vite, certaines de ces caisses connaissent une incroyable prospérité, notamment celle de Reims qui lui permet d’aller de plus en plus loin dans son soutien aux paroissiens et d’entrer déjà dans l’ère de la prévention. En effet, à partir de 1782, les excédents annuels servent à subventionner l’achat de pompes. Dans bien des villages, la Caisse de Reims sera ainsi à l’origine des toutes premières compagnies de pompiers. Elle s’attaque aussi au remplacement de la chaume par les tuiles, à la construction d’adductions d’eau. Elle diversifie enfin la couverture des risques. En 1789, elle décide ainsi d'indemniser les paysans victimes de la grêle, sans inclure toutefois les vignerons. Peut-être parce que la vigne est alors considérée comme une culture spéculative qui ne constitue en général qu’une activité annexe des paysans dans un système encore de polyculture. On notera toutefois que le sort des vignerons grêlés ne laisse pas indifférent les administrateurs de la Caisse dans la mesure où ils prennent soin de les recommander dans une circulaire à la charité des concitoyens.

La Révolution passe par là. Plus question de voir l’Église se mêler des affaires temporelles. La providence de l'État tarde cependant à remplacer celle des ecclésiastiques. Il faut attendre 1801 pour que le préfet de la Marne, Bourgeois de Jessaint, recrée une caisse qu'il place sous sa tutelle et celle d’un bureau de notables. Les grands patrons des maisons de champagne y figurent en bonne place. François Irénée Ruinart de Brimont en particulier dont le dévouement est cependant bien mal récompensé par ses concitoyens. En 1828, un incendie d’origine criminelle ravage son château. Les responsables ? Ses adversaires politiques qui ont lancé contre ce fervent royaliste une campagne calomnieuse, l’accusant en pleine disette, d’exporter vers l’Angleterre des céréales dissimulées dans des flacons de champagne. À Châlons, Eugène et Joseph Perrier, de la Maison Joseph Perrier, s'impliquent aussi dans le développement de la Caisse.

Dîner de gala donné à Châlons le 13 juin dernier pour célébrer les 250 ans de CMMA Assurance

Le succès de l'institution va grandissant et la majorité des foyers marnais finissent par y adhérer. Il faut dire que son coût de gestion, et par là-même les cotisations, sont ridicules par rapport à ceux des compagnies d’assurance. Le personnel est en effet très réduit, puisque ce sont les secrétaires de mairie qui se chargent de collecter les contrats d’assurance. La caisse met aussi en avant tout l’intérêt des Champenois à la privilégier, rappelant que les compagnies d’assurances privées parisiennes placent leurs fonds de réserve dans des entreprises en dehors de la région, alors que la caisse, elle, les utilise pour soutenir l’économie marnaise, faisant office littéralement de banque régionale. Ainsi, pendant la crise des années 1930, alors que le marché du champagne s’effondre et que les vignerons qui doivent faire face à la surproduction ne savent plus comment stocker leurs vins, elle soutient financièrement l’Union viticole horticole de la Marne et la Coopérative départementale de matériel agricole.

La caisse des incendiés gérée par la préfecture survit jusqu’au début des années 1990, où la nouvelle règlementation européenne la rend définitivement obsolète. Son portefeuille est alors repris par la Caisse mutuelle marnaise d’assurance, créée en 1976 par les dirigeants de la caisse départementale des incendiés pour diversifier les contrats d’assurance. Un procès des compagnies d’assurance l'avait en effet contrainte depuis 1901 à se cantonner aux incendies. Aujourd’hui, CMMA Assurance poursuit la tradition, y compris dans son soutien aux actions de prévention et aux pompiers de la Marne. Rappelons que depuis 1993, elle subventionne le SDIS. Elle fait aussi partie des très rares caisses régionales à avoir survécu, à l’heure où toutes les entreprises de la filière se regroupent. Ce choix de demeurer un acteur purement local, lui permet de coller au plus près des besoins du territoire et de proposer des contrats sur mesure, y compris pour les vignerons champenois dont le métier est très spécifique.