Mardi 24 Décembre 2024
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01.07.2021
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La valeur n’attend pas toujours le nombre des années : Émilien Boutillat, chef de caves de la Maison Piper-Heidsieck, remporte à 33 ans le titre le de Wine Maker de l’année. Terre de vins revient sur le parcours de ce jeune talent de la Champagne, symbole d’une nouvelle génération montante chez les œnologues, qui conjugue l’ouverture sur l’international et l’enracinement dans son terroir.
Régis Camus, lorsqu’il était chef de caves de Piper-Heidsieck, avait remporté le titre huit fois (un record). Aujourd’hui, c’est au tour de son successeur Émilien Boutillat d’être élu « Wine Maker of the Year » par le jury de l’International Wine Challenge. Un trophée attribué après une dégustation des plus beaux assemblages en provenance de 52 pays. À 33 ans à peine, Émilien a déjà une jolie carrière derrière lui. Fils d’un vigneron de Chaumuzy dont la famille cultive les coteaux de la vallée de l’Ardre depuis 1765, Émilien a attrapé le virus de la vigne dès l’enfance, avec une curiosité qui l’a très tôt incité à dépasser les frontières de sa Champagne natale pour s’ouvrir à d’autres approches. Plutôt que de passer le DNO de l’Université de Reims, il préfère ainsi rejoindre l’Agro Montpelier, et suivant la même logique, il fait ses stages à Châteauneuf-du-Pape et à Margaux où il réalise une étude comparative entre des parcelles bio, biodynamiques et conventionnelles. Émilien observe à la fois l’impact sur le développement de la vigne et sur les vinifications. Une expérience qu’il renouvelle aujourd’hui : la Maison Piper-Heidsieck teste en effet depuis un an sur 17 hectares les méthodes culturales de l’agriculture biologique.
Émilien exerce ensuite à l’étranger, tantôt dans l’hémisphère nord, tantôt dans l’hémisphère sud, ce qui lui permet de participer à deux vendanges par an et d’emmagasiner encore plus d’expérience tout en se confrontant à tous les types de viticulture. En Californie, il retrouve le souci du détail qu’il avait connu à Margaux, avec des vinifications parcellaires, une subdivision pour récolter au point idéal de maturité : « L’œnologue qui travaillait là-bas était Champenois, il était aussi « nez », il m’a apporté beaucoup sur le plan de la dégustation. » En Nouvelle-Zélande, il se familiarise avec une exploitation plus industrielle. Lorsqu’il reviendra plus tard à Reims, Émilien combinera ces deux approches : les volumes traités par les maisons de champagne atteignent en effet des niveaux comparables à ce qu’il a rencontré en Nouvelle-Zélande et exigent une aptitude à rationnaliser la production, et en même temps la qualité attendue sur ce vin de luxe implique le même souci du détail que ce qu’il a pu rencontrer en Californie.
En Afrique du Sud, c’est encore une autre leçon. Émilien s’émerveille là-bas des méthodes culturales des vignerons du Cap. « Ils arrivent sur un terroir pourtant très chaud à obtenir de bons équilibres pour les vins effervescents. J’ai pu ainsi me projeter dans les problématiques que nous aurions peut-être à affronter en Champagne d’ici cinquante ans et imaginer comment on pourrait anticiper les choses au vignoble. Car pour moi, tout commence au vignoble, cela représente 95 % du travail, l’œnologie n’est là que pour transformer l’essai. »
« Challenger les conventions établies »
Enfin, grâce à ces voyages, Émilien est à même de mesurer les inconvénients et les avantages du modèle champenois « Dans les vignobles du Nouveau Monde, les vinificateurs ont plus de liberté, ils peuvent parfois être plus précis pour s’adapter à leur terroir. En revanche, cette absence de cadre crée des écarts importants de qualité. C’est l’intérêt de la règlementation champenoise. Pour moi, il faut savoir être disruptif tout en restant dans le cadre, explorer des choses qui sont un peu à la marge afin de voir si elles peuvent nous emmener vers plus de qualité. C’est cette liberté de pensée, cette possibilité de challenger les conventions établies que j’ai ramenées de ces voyages. Pour autant je ne renie pas le cadre, il faut qu’il soit là, parce qu’on ne travaille pas seul mais avec l’ensemble de nos partenaires vignerons, on a besoin d’un langage commun. Cependant, à l’intérieur de ce cadre, il y a peut-être la possibilité de s’ouvrir, d’adapter nos pratiques en lien avec les conditions changeantes que ce soit du point de vue climatique, environnemental, ou de celui des attentes du consommateur. »
En 2012, le voyageur commence à ressentir le besoin de retrouver ses racines. Il rentre en Champagne. Lurton lui propose de travailler sur son domaine au Chili, il refuse, et préfère rejoindre l’espace d’une vendange la cuverie expérimentale du Comité Champagne. Il travaille ensuite pendant six ans pour Cattier avant de reprendre le poste de chef de caves chez Piper-Heidsieck en 2018. Consacrant son temps libre au théâtre d’improvisation, Émilien y trouve une part de son inspiration : « Quand on arrive sur scène, qu’il n’y a rien d’écrit et que l’on doit créer une histoire à partir de rien, on est obligé d’écouter ce que disent les autres acteurs, de regarder ce qu’ils font, pour l’intégrer au récit. C’est exactement ce que je fais dans mon quotidien chez Piper-Heidsieck, où je travaille avec une équipe œnologique qui compte sept personnes et donc autant de sensibilités différentes avec lesquelles je dois composer pour créer quelque chose ensemble ».
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