Vendredi 22 Novembre 2024
(Photos M. Boudot)
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16.04.2020
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Alors que le début du déconfinement a été annoncé pour le 11 mai, la filière bordelaise se demande si – et quand – elle va pouvoir présenter son millésime 2019 en primeurs aux professionnels. Pour l’œnologue-consultant Michel Rolland, l’heure n’est plus à l’attentisme.
Quelle est votre position concernant la présentation du millésime 2019 en primeurs ?
Le report de la semaine des primeurs, initialement prévue du 30 mars au 3 avril, et la prolongation de la situation de confinement a plongé tout le monde dans le doute. Alors trois hypothèses se dessinent pour la présentation du millésime :
– on organise des primeurs « à la sauvette » après le 11 mai et avant l’été, par exemple courant juin.
– on attend l’automne – une option qui n’a ni la faveur du négoce, habituellement très pris à cette période de l’année, ni des vignerons qui seront occupés par les vendanges et vinifications du 2020.
– on reporte tout d’un an.
À titre personnel je n’ai pas de religion et je suis prêt à examiner toutes les options, mais plus on avance dans le temps, plus on a le risque d’un éparpillement, d’une mauvaise communication et donc de rater la campagne primeurs.
Selon vous il y a un risque réel de voir ce millésime 2019 « sacrifié » ?
Oui, il y a un risque que ce millésime tombe dans l’oubli avant même de sortir alors que c’est un très beau millésime. Les mauvaises langues vont dire que l’on annonce la même chose tous les ans à Bordeaux, mais c’est pourtant vrai, 2019 est un très beau millésime et il faut donner la possibilité aux professionnels, puis plus tard aux consommateurs de l’apprécier à sa juste valeur.
Dans tous les cas, l’attentisme n’est pas envisageable dans la situation actuelle. Il faut se signaler, car on ne peut pas se permettre de rester trop longtemps en dehors des radars : « loin des yeux, loin du cœur ». Bordeaux ne peut pas se le permettre. Malheureusement c’est une habitude un peu trop bordelaise de ne pas prendre les décisions très vite, mais là on ne peut pas continuer à patiner. Il faut dire qu’on existe, on est certes isolé du monde à cause de la crise sanitaire mais on doit faire parler de ce millésime.
Est-ce que cela signifie que, dès que les conditions sanitaires le permettront, il faudra faire déguster ce millésime très vite, même si les perspectives de mise en marché ne sont pas encore lisibles ?
Je pense que ce n’est pas impossible, à condition de ne pas le faire n’importe comment et à n’importe quel prix. On ne peut pas imaginer des primeurs en demi-teinte, avec soit des prix sacrifiés, soit reposant seulement sur une vingtaine de grosses étiquettes qui, quoi qu’il advienne, ne rencontreront jamais de difficulté pour se vendre et marcheront même si on fait la campagne dans un an. Il faut penser à l’intérêt de tous, pas seulement aux « stars » mais à toute la filière de Bordeaux. Avant la crise du coronavirus, la place de Bordeaux n’était déjà pas au mieux de sa forme, on a donc tout intérêt à jouer collectif, à se mettre autour de la table et prendre la meilleure décision. C’est comme en politique, les avis vont diverger, mais l’impératif est de ne pas être léthargique. Il faut bouger.
Et si la crise sanitaire oblige à tout reporter d’un an, quelle incidence ?
Si l’on reporte d’un an, cela donne un coup d’arrêt aux primeurs tels qu’on les a toujours pratiqués. Cet événement, qui est un exercice toujours compliqué, est un coup de projecteur inestimable pour Bordeaux, et si on le reporte d’un an on supprime l’idée même de primeurs et on remet le focus sur des vins presque livrables. Certains sont contre, d’autres sont pour. Du côté du négoce, ce serait une respiration bienvenue, car cela permettrait d’assainir les stocks des millésimes précédents. Du côté des propriétés, cela ferait une période très longue durant laquelle il faudrait trouver des financements…
En tant que flying winemaker vous avez une connaissance internationale du vin, vous savez que la concurrence mondiale ne s’endort pas malgré la crise. Que faut-il pour sonner le réveil de Bordeaux ?
Le paradoxe bordelais est de voir cohabiter en un même endroit un complexe de supériorité, dû au succès inébranlable de quelques grandes étiquettes, et un complexe d’infériorité à cause du désamour dont souffrent les vins de Bordeaux et notamment les 8000 étiquettes à prix accessible qui souffrent de la concurrence internationale. C’est le jour où ces 8000 « petites étiquettes » se vendront bien que l’on pourra dire que Bordeaux va bien. Il y a à Bordeaux beaucoup de super vins mais qui ont du mal à se vendre. Ils sont pourtant moins chers et aussi bons que des italiens ou des argentins ! Mais dans les autres régions, il n’y a pas la souplesse et le « confort » de la place de Bordeaux, il n’y a pas ou peu de négoce intermédiaire, les domaines doivent gérer leur commercialisation et leur distribution, ils ont l’habitude de se retrousser les manches et de travailler eux-mêmes leurs réseaux. Il y a des questions à se poser. Peut-être que la crise que nous traversons est le bon moment pour se les poser et repartir sur de bonnes bases. Mais comme je disais : bougeons !
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