Dimanche 22 Décembre 2024
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16.05.2021
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Sous les projecteurs depuis l’annonce de l’arrivée prochaine de l’acteur américain George Clooney, le vignoble varois attire de plus en plus de capitaines d’industrie motivés par un retour à la terre – ce qui n’exclut pas une dose de calcul économique.
Jean-Louis Croquet, 78 ans, qui a fait fortune dans les sondages avec TNS Sofres, fait partie des précurseurs. Devenu vigneron à temps plein après avoir cédé l’institut, il a acheté Château Thuerry en 1998 implanté sur 400 hectares près du parc naturel régional du Haut-Var-Verdon. « Quand on n’a plus qu’une ambition qui s’appelle le bonheur, ici on est à 95% », dit-il en contemplant sa ferme templière du 13e siècle.
Ancien statisticien, il classe les néo-vignerons, de plus en plus nombreux à venir dans le Var, en deux catégories : « Ceux qui ont du cash flottant à placer et les vrais amoureux du vin, dont je fais partie ». Son domaine, au bout d’une longue route forestière, produit 150.000 bouteilles par an et s’essaie depuis peu au vin naturel. Le chai cathédrale ultramoderne a été enfoui sous une terrasse végétalisée. Des tracteurs guidés par satellite sillonnent la vigne.
« J’ai reçu des dizaines de propositions depuis le début de l’année, dont LVMH, qui chasse comme un fou », dit-il à l’AFP. Malgré la pandémie, le vignoble varois et ses quatre AOC –Bandol, Côteaux varois en Provence, Côtes de Provence, Côteaux d’Aix-en-Provence– a le vent en poupe: meilleure progression française à l’export en 2020, montée en gamme depuis 20 ans et une terre moins chère que les grands crus bordelais ou bourguignons.
Début 2021, la maison Chanel a fait parler d’elle en achetant un deuxième domaine sur l’île de Porquerolles. En face, le géant du luxe LVMH a acheté en 2019 un des 18 crus classés de Provence, château du Galoupet à La Londe-les-Maures.
Un marché « très actif »
« Il y a des grands groupes qui veulent dominer le marché du rosé car ils ont vu que c’est un business fabuleux qui se travaille avec beaucoup de marketing. J’ai beau dire que je ne suis pas vendeur, le prix monte », constate M. Croquet qui compte comme voisin le milliardaire britannique James Dyson.
Le marché est « très actif » et principalement porté par des investisseurs français, confirme Adam Dakin, de l’agence spécialisée Wine Objectives. Isabelle Maligne, sa consœur de Vinea Transaction, estime ainsi qu' »un bon tiers » des domaines provençaux ont changé de main en 20 ans. « Un tiers des surfaces peut-être », nuance M. Dakin. Tous deux le certifient en tout cas : oui, mieux vaut avoir l’amour du vin pour se lancer, mais les acheteurs nourrissent aussi d’autres arrières-pensées. La vigne permet de recycler les gains de la cession d’une entreprise pour les défiscaliser.
Sur une carte, Mme Maligne situe quelques-uns des chefs d’entreprise qu’elle a installés: l’horloger de luxe Richard Mille en 2019, le cachemirier Eric Bompard en 2014, le fondateur du prestataire télécoms Itancia Yan Pineau en 2011 ainsi que le milliardaire britannique spécialisé en immobilier de bureaux Mark Dixon. Son confrère a sa propre liste de grands patrons atterris dans le vignoble: l’industriel de la charcuterie Michel Reybier (Cochonou, Aoste et Justin Bridou) qui a repris en 2020 un domaine au magnat américain Tom Bove, le producteur TV Stéphane Courbit en 2019, le roi des chips William Chase (Tyrells Crisps).
« Pas de limite »
Dans cette course aux hectares, les professionnels du vin ne sont pas en reste. Les champagnes Bruno Paillard ont ouvert la marche en 1995 à Saint-Antonin-du-Var, avant que ne débarquent des géants du négoce viticole comme Castel, Chapoutier, Mora, Magrez, Béjot, Aegerter, etc. Dans le monde agricole, LVMH inquiète même : « Si demain Bernard Arnault s’étend encore, il va définir le cours du vin », frémit un vigneron qui préfère garder l’anonymat. « Ça fait parler de l’appellation et ça tire la qualité vers le haut », salue Luc Nivière, 56 ans, représentant de la 4e génération au Domaine des Trois Terres, près de Brignoles. « Mais si demain je veux acheter un hectare de vignes, c’est un problème car ces gars-là n’ont pas de limite », dit-il encore ébahi par les travaux « pharaoniques » réalisés non loin par le millionnaire Jean-Louis Bouchard au Château de Fontainebleau en Provence.
Et il pourrait prochainement compter un voisin VIP de plus : même si la transaction est contestée par un autre acheteur, George Clooney a acquis un domaine avec quelques hectares de vignes à Brignoles, à quelques kilomètres de ceux de George Lucas et de Brad Pitt et Angelina Jolie. Who else ?
Par Claudine RENAUD pour AFP
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