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[Rhône] Saint-Joseph, Cornas : l’élégance n’est pas une option

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

16.04.2019

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Deuxième jour de Découvertes en Vallée du Rhône et dernier jour en vallée du Rhône septentrionale avant que les professionnels du salon mettent le cap sur Avignon. Aujourd’hui, gros plan sur Cornas et Saint-Joseph, deux appellations qui ne sont décidément plus dans l’ombre de Côte Rôtie, et où les vignerons savent cultiver une certaine élégance.

C’est quoi, l’élégance dans le vin ? Une quête d’équilibre, une personnalité affirmée mais qui ne joue pas des coudes, l’expression d’un terroir, d’un style, d’une philosophie, une allure, un dessin, une structure, un vin qu’on a envie de boire, qu’on a envie d’attendre, qu’on a envie de partager – et surtout dont on a envie de parler. D’aucun ajouteront la fraîcheur, la minéaralité, la digestibilité, la buvabilité, la salinité, la sapidité, autant de termes consacrés figurant dans la boîte à outil du dégustateur mais qui, au final, n’expriment qu’une seule et même chose : que nous dit ce vin sur le lieu où il est né et que nous transmet-il des intentions, du propos de la femme ou de l’homme qui lui a donné naissance ? Bien avant le vocabulaire, il y a la sensation, le palpable et l’impalpable, et c’est bien là que se niche l’élégance, là où les grands vins font la différence.
Illustration avec trois domaine du Rhône septentrional, rencontrés et dégustés ce matin à Mauves (Ardèche) en ouverture de la deuxième journée du salon professionnel Découvertes en Vallée du Rhône.

Eric et Joël Durand, frères de vignes

Ce domaine familial s’étendant sur 23 hectares, historiquement autour de Saint-Joseph, a pris progressivement son essor avec l’arrivée des frères Joël en 1987 puis Eric en 1996. Ils ont développé et étendu la surface, notamment sur Cornas, avec une répartition des rôles bien équilibrée et une application à traduire de façon précise l’expression des terroirs rhodaniens. « Pour connaître Cornas, il faut d’abord savoir bien vinifier le saint-joseph », aime à dire Joël, en parlant de ces deux appellations séparées de quelques kilomètres seulement mais aux configurations bien distinctes. Cornas, avec sa géologie plus métissée (granit bien sûr, mais aussi calcaires et argiles) et son climat plus chaud et sec, produit des vins au profil bien différent de ceux de Saint-Joseph – charge au vinificateur de savoir en tirer le meilleur. On ne va pas faire durer le suspense, l’objectif est atteint par les frères Durand, qui signent une gamme de vins d’une impeccable cohérence. Jugez les blancs : entre le saint-péray 2017 (50% roussanne 50% marsanne, élevage 6 mois dont un tiers en fûts), sur un profil à la fois tonique et crémeux, désaltérant, direct, et le saint-joseph blanc 2017 (même assemblage, même élevage), plus gras, onctueux et intense, plutôt taillé pour la table, on décèle une belle complémentarité. La gamme des rouges est à l’avenant, avec le saint-joseph rouge « Les Coteaux » 2017 (20 €), cuvée d’assemblage de différentes parcelles, élevée en demi-muids, bien travaillée du fruit juteux et charnu à la texture délicate et tonique ; le très beau parcellaire « Lautaret » 2017 (25 €), situé en haut de coteau sur un dôme grainitique / galets roulés / calcaires exposé à l’ensoleillement mais rafraîchi par le vent du nord, exprime un jus puissant mais vibrant, à la fois solaire et minéral, ponctué par une finale de garrigue et de menthol, une touche de sel sur la langue. On file ensuite à Cornas avec trois cuvées : Prémices 2017, assemblages de trois parcelles « plus sur la finesse que sur la puissance », déployant une texture très soyeuse, des tanins fins, un fruit bien à point et une finale très « herbes aromatiques » ; Empreintes 2016 (32 €), le versant « puissant » de la cuvée précédente, issu notamment de parcelles argilo-calcaires, avec un profil plus profond, plus tanique, une bouche bien dense, charnue, du gras, de l’amplitude mais toujours de la race et de l’allonge, qui tonifie le vin ; enfin, Confidence 2016 (50 €), cuvée issue de deux parcelles granitiques, pauvres et peu profondes, arbore un profil droit, fuselé, tendu, une bouche linéaire et élancée, un fruit d’une grande netteté, des tanins serrés, une finale parfaitement ciselée. Un vin d’une grande élégance, à garder absolument.

Jean-Claude Marsanne, timide et sans complexe

Dans la famille de Jean-Claude Marsanne, on sert volontiers du vin, on en parle moins. Jean-Claude et son épouse sont plutôt du genre timide, en tout cas taiseux, et c’est tant mieux – à nous de nous débrouiller avec ce qu’il y a dans le verre. Tout juste devons-nous situer le domaine, 9 hectares dont un peu plus de 7 en Saint-Joseph, le reste en Croze-Hermitage et IGP Ardèche. Jean-Claude, qui a pris les rênes du domaine familial au début des années 2000, incarne la troisième génération. Pour le reste ? Des vins d’une élégance ciselée et d’une belle propulsion, avec un saint-joseph blanc 2017 (100% marsanne, 30 €) parfaitement balancé entre aromatique et tension, où le floral le dispute à l’orange amère ; un viognier 2016 en IGP Ardèche, produit seulement pour la troisième année consécutive, marqué par une bouche flatteuse et délicate de fleur de vigne et d’abricot juteux ; un crozes rouge 2017 sur un registre croquant ; et un saint-joseph rouge pile poil dans la cible – 2016, tendu, fun, net, élancé, déroulant un fruit à point et une finale salivante, et 2017 plus intense, profond, concentré et ample, sur une belle chair onctueuse et mordante (27 €).

Bernard Gripa, force tranquille

Vigneron emblématique de Saint-Joseph mais aussi de Saint-Péray où ses blancs jouissent d’une réputation qui n’est plus à confirmer, Bernard Gripa travaille avec son fils Fabrice à l’élaboration de vins d’une élégance intemporelle. Le saint-péray « Les Pins » 2017 (70% marsanne, 30% roussanne) dévoile une jolie tension, une chair croquante, pêche jaune, touche miellée, finale salivante ; le saint-péray « Les Figuiers » 2017 (60% roussanne 40% marsanne), sur sols calcaires et vignes plus anciennes, élevé 8 mois en fûts, affiche un profil à la fois plus tranchant et aromatique. Une belle complémentarité entre ces deux vins, complétée par le saint-joseph blanc 2017 (70% marsanne, 30% roussanne), sur sols granitiques, plus gras, onctueux, charnu, pulpeux, avec une finale subtilement grillée / épicée. En guise de bouquet final, le saint-joseph blanc « Le Berceau » 2017 (100% marsanne, vignes de 80 ans) épate par son caractère harmonieux, sa bouche enrobante de mirabelle, d’acacia et d’épices douces, son superbe toucher de bouche, son allonge. Côté rouges, le saint-joseph « domaine » 2017 est un modèle d’équilibre, avec son fruit croquant, sa matière pulsante, ses tanins stricts mais élégants ; la cuvée parcellaire « Le Paradis » 2016 dévoile un nez parfumé, fin, floral, très aérien, une texture très délicate avec des tanins d’une très belle définition, une jolie tension, beaucoup de fraicheur et de précision. Superbe ! On conclut avec le saint-joseph rouge « Le Berceau » 2017 beaucoup plein, concentré, dense et serré, sur un style plus puissant et certainement à attendre. Mais toujours élégant, c’est bien le maître mot des vins de Bernard Gripa comme des vins précédents.

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