Vendredi 22 Novembre 2024
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25.03.2016
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Sacha Lichine est né à Bordeaux, a grandi aux États-Unis et vit désormais entre New York et la Provence où il a acheté il y a 10 ans le désormais célèbre Château d’Esclans, près de Fréjus. Il y élabore le rosé le plus cher du monde, la cuvée Garrus, mais également le Whispering Angel qui a fait connaître le côtes-de-Provence dans le monde entier.
Comment vient l’idée, quand on est Bordelais, de partir faire du rosé en Provence ?
J’ai vendu ma propriété bordelaise en 1998 pour faire du rosé un grand vin, un vin que l’on a envie de boire… au cas où on n’arriverait pas a le vendre. Je n’avais plus envie de rester à Bordeaux car il me semblait difficile de faire plus sur des terroirs qui ne changeaient pas et je n’avais pas envie de faire les bordeaux sur-extraits d’aujourd’hui. Il est vrai que Parker a beaucoup contribué au succès de Bordeaux ces dernières années mais il l’a aussi beaucoup abîmé avec des vins titrant a plus de 14% vol. En Provence, tout était à faire. Mon père, Alexis Lichine, aimait déjà le rosé et je voulais faire la différence dans cette catégorie, prouver qu’il pouvait y avoir de l’élégance dans les rosés, même si le consommateur n’est pas toujours prêt à payer pour la baisse de rendements nécessaire à une montée en gamme – on a une moyenne de moins de 40 hl/ha sur la propriété, on descend à 25 pour Garrus. A mon arrivée, le prix du côtes de Provence était à 85 €/hl; aujourd’hui il est à 230 et ça commence à faire vivre toute une région.
Comment avez-vous été accueilli en Provence ?
On a été forcément mal vu au départ parce que l’on venait de Bordeaux. Finalement, le domaine a commencé à être reconnu en France par sa réussite à l’étranger. Mais on est toujours surveillé de près. C’est pourtant formidable d’avoir réussi à faire le rosé le plus cher du monde (le cuvée Garrus à 85 €). On est passé de 16 à 25 000 bouteilles. Et ce n’est pas que du bling bling ! Ceux qui le goûtent à l’aveugle le classent même souvent dans les grands blancs. Et je suis fier qu’un rosé ait été noté 98/100 dans la Wine Spectator par James Suckling ; c’était inenvisageable il y a encore quelques années.
Vous avez réalisé beaucoup d’investissements au domaine…
J’ai investi 30 M€ depuis le rachat de la propriété. J’ai beaucoup arraché et replanté ; Je n’aime pas beaucoup la syrah dans le rosé – ça bonbonne trop – je préfère le grenache, le cinsault et je plante de plus en plus de rolle. Il y en a d’ailleurs 30% dans la cuvée Garrus. Au départ, j’ai essayé des vinifs en barriques « pour voir », dans des demi-muids à chauffe légère, toujours pour maintenir l’élégance. Patrick Léon est venu nous rejoindre comme consultant et son fils est désormais le directeur technique du domaine. Le rosé est sans doute le vin le plus difficile à élaborer si on veut faire très bon et pour ça, il faut des techniciens compétents… Et des investissements dans des équipements de froid et de maîtrise des températures pour éviter l’oxydation. C’est aussi pour ça qu’il y a 30 ans, on n’aurait pas pu faire cette qualité. Il faut aussi laisser mûrir le raisin qui monte à 13-14° ; la clé est alors la rapidité à laquelle on rentre les grappes et à la machine, on peut facilement vendanger de nuit.
Vous vous êtes agrandi en négoce. Vous arrivez à contrôler la qualité de tous les vins signés Esclans ?
La propriété compte une cinquantaine d’hectares et 400 en achat de raisins. C’est un modèle champenois avec l’esprit d’une winery : on vinifie tout. On a commencé avec 150 000 bouteilles et on en vend 4 millions maintenant, à 92% à l’export, surtout aux États-Unis (où je vis la moitié du temps), en Grande-Bretagne, en Asie, à Dubaï, en duty-free… Le choix d’un nom anglais comme Whispering Angel nous a aussi aidés à exporter. J’aimerais arriver à 7 millions pour devenir une véritable marque globale internationale comme Antinori avec l’histoire et la beauté des vins en volume et en qualité. Il y a d’autres jolis domaines en Provence qui font des vins haut de gamme comme Léoube, Ott, Sainte Marguerite, Saint André de Figuière, Minuty… Mais ils restent très franco-français.
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