Samedi 21 Décembre 2024
©A. Viller
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Date
15.12.2023
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Si dans le Tour de France à vélo, c’est aux coureurs que l’on demande de l’endurance, dans le Tour des cartes de Terre de vins, c’est plutôt au jury, qui a dû cette année parcourir pas moins de 1 000 cartes, pour identifier dans un premier temps les 100 plus intéressantes.
Pour cette édition 2023, le premier constat, c’est que dans le top 100, certaines régions sont beaucoup plus représentées que d’autres. Alors même que l’Île de France est la région de très loin la plus peuplée, celle-ci n’arrive qu’en sixième position, ex aequo avec la Bretagne, les deux comptant chacune 8 lauréats. Ainsi, même si à l’école nos professeurs nous ont toujours enseigné le déséquilibre économique et démographique traduit par la fameuse expression « Paris et le désert français », en ce qui concerne le goût pour le vin, et l’engagement des restaurateurs dans ce domaine, la province se défend très bien !
Largement en tête, on trouve la région Auvergne-Rhône Alpes (21 lauréats), puis le Grand Est (16), l’Occitanie (13), la Nouvelle Aquitaine (11), la Provence Alpes Côtes d’Azure (9), Paris (8), la Bretagne (8), Le Centre Val de Loire (6). La deuxième chose qui frappe en regardant cette liste, ce sont les grands absents. On en compte trois : les Hauts de France, la Normandie et la Corse. Pour les deux premières régions, l’explication est assez évidente. La vigne y est quasiment absente. En Normandie, la culture dominante est plutôt celle du cidre et du calva, et dans les Hauts de France, malgré la présence d’un petit bout de la Champagne à travers le vignoble de l’Aisne, on est davantage dans une région de buveurs de bière. Si l’engouement pour le vin n’y est pas absent, il est peut-être tout de même un peu moins important, dans la mesure où il n’y a pas de terroir à défendre. Quant à la Corse, c’est un terroir viticole, mais là, c’est sans doute la démographie qui joue, puisqu’avec moins de 400.000 habitants, elle compte forcément beaucoup moins de restaurants et de bars à vins que les autres.
Nous sommes allés interroger Laurent Derhé, meilleur ouvrier de France sommelier et membre du jury, sur l’évolution des cartes présentées au concours au fil des années. « Ce que j’observe dans toutes les catégories, mais encore plus dans les plus petites catégories, c’est la course au nombre de références. C’est une bonne chose, parce que cela démontre la passion du vin des restaurateurs. Cela signifie aussi qu’une carte des vins très fournie, qui est onéreuse pour le restaurateur, constitue un vrai attrait commercial. Pour nous professionnels du vin, c’est un bon signe. Et en même temps, cela me dérange, parce qu’une belle carte des vins n’est pas nécessairement une longue carte des vins. Comme une belle cuisine n’est pas forcément une cuisine avec beaucoup de choix. Ce n’est pas parce que l’on rajoute des plats sur la carte qu’ils sont meilleurs et que l’émotion dégagée sera plus importante. Il faut certes pour une carte des vins une vraie palette de références, mais le rôle du sommelier, c’est quand même de faire une sélection. »
Ce rallongement de la liste des vins ne concerne pas tous les types de cuvées. « En ce qui concerne les vieux millésimes, sans avoir de statistiques, je n’ai pas le sentiment que leur représentation progresse. Cela va dans le sens des vinifications modernes où les vins doivent être gourmands plus rapidement. Il y a donc de moins en moins nécessité à les faire vieillir. Personnellement, lorsque je vais dans un restaurant, j’aime déguster des vieux millésimes, parce que c’est exotique et que cela nous sort de notre quotidien. Mais je constate que ce n’est pas si facile d’en trouver. Même si on a quelques contre exemples de restaurateurs qui font des stocks et s’amusent, ce n’est pas la mode sur les cartes comme chez les winemakers. Les belles cartes de vieux millésimes sont souvent réservées aux grands établissements qui appartiennent à l’histoire de la gastronomie française, à quelques tables iconiques. La jeune génération de consommateurs, les 20/30 ans, c’est-à-dire l’avenir, s’intéresse aux vins sans souffre, au bio. Elle cherche des vins identitaires, une histoire, des terroirs inconnus, comme ceux du Nouveau Monde. Là, on voit un développement. Il y a également de plus en plus de grands formats, avec des cartes de magnums, parce que c’est tendance, c’est fun. La question des vieux millésimes suscite moins de curiosité et d’attrait. »
Dernier aspect, la pédagogie des cartes, où on observe là aussi une différence entre les restaurants gastronomiques qui disposent de sommeliers et les brasseries. « Dans les grandes tables, il y a un personnel compétent dédié pour conseiller, donc il n’y a pas besoin de faire de la pédagogie. Si le client a une question, on peut lui répondre. Dans les cartes plus bistronomiques, on observe au contraire un développement de ces informations, on voit parfois insérés dans la carte des vins, des cartes géographiques des appellations, des photos des vignerons avec un commentaire pour les présenter. Cela peut être intéressant, à condition que la carte ne devienne pas un livre. N’oublions pas qu’une carte des vins doit se parcourir en quatre minutes. On est d’abord là pour choisir. »
Bref, le jury cette année encore s’est régalé. Il est composé pour cette édition de Julie Hoeffler (France Boissons), Maeva Vidonne (BNIA), Maxime Gallard (ancien lauréat pour L’Hôtel de la Gare), Antoine Veuriot (Médaille de bronze, La Cave sur le comptoir), Alex Liotard (ancien lauréat, La Cempote), Laurent Dehré (meilleur ouvrier de France sommelier). Il s’est réuni sous la présidence de Serge Dubs (meilleur sommelier du monde 1989, Auberge de L’Ill). Terre de vins tient également à remercier les partenaires de cette édition : le BNIA, France Boisssons, Les vins de Cahors, Les vins du Luberon et le Syndicat Général des Vignerons de la Champagne.
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