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Un trait d’amer dans les spiritueux 

Auteur

Frédérique
Hermine

Date

14.06.2024

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Les spiritueux affichent un bilan peu réjouissant. Tous les marchés sont à la baisse en 2023, quasiment toutes les catégories aussi, hormis les gins et les liqueurs de fruits qui résistent bien à la morosité ambiante. 

Les ventes en Grande Distribution ont enregistré une troisième année à la baisse, à - 4,3% en volume en un an portant les ventes à 251 M l. (chiffres Nielsen IQ). Au total, depuis 2020, la déconsommation représente près de 10% des volumes (-9,6%). La filière a perdu 400 000 acheteurs en 2023. Une tendance qui s’aggrave sur les premiers mois 2024 avec un recul des volumes avoisinant 5% (vs la même époque 2023). Toutes les catégories sont donc en recul, au global de 4,3%. Seuls les gins à - 2,1% et les liqueurs à -0,7% résistent mieux grâce au développement de la consommation de cocktails à domicile. « Elle a profité du Covid quand les consommateurs pendant la fermeture des CHR ont compris qu’ils pouvaient se concocter un cocktail chez eux pour moins de 2€ » analyse le président Jean-Pierre Cointreau. « On assiste à un zapping croissant des consommateurs de moins en moins fidèles aux marques et de plus en plus intéressés par l’expérience et la mixologie, ce qui explique aussi le succès des liqueurs, des spritz et des rhums arrangés qui multiplient les formules ». Les volumes ont encore chuté de 4,6% depuis le début de l’année, un constat inédit dû à la rationalisation du nombre de références qui a touché les produits à faible trafic en caisse, et au développement des MDD, en particulier pour les whiskies et dans la catégorie des gins et des liqueurs qui étaient en retard. « Le segment de prix le plus élevé est le premier à pâtir de la situation, commente le directeur général Thomas Gauthier. Les consommateurs achètent toujours des marques de fond de bars mais ne font plus de folie ».

Baisse de la consommation et du pouvoir d’achat
Si la baisse de la consommation s’explique, à court terme, principalement par l’inflation et la chute du pouvoir d’achat des Français, elle reflète sur le long terme une évolution structurelle des comportements avec une baisse régulière de la consommation de boissons alcoolisées (- 60% depuis 60 ans) et de la fréquence. L’explosion des coûts de production (ils ont augmenté de 5 a 25%, imputables surtout au verre) suite à la guerre en Ukraine n’a fait qu’aggraver la situation. C’est d’ailleurs la principale source de préoccupation des entreprises de la FFS qui se sont déclarées impactées (à 95%) par ce phénomène. Selon une enquête auprès des adhérents, les principaux problèmes sont d'abord imputables au non report des coûts à la vente, à la baisse d’activité, à la hausse des salaires, à l’inflation et à l’allongement des délais de paiement. Selon la FFS, 44 % des entreprises ont vu leur chiffre d'affaires diminuer en 2023 et 63 % ont enregistré une baisse de leur marge par rapport à 2019. La fédération enregistre néanmoins davantage d’adhérents, plus de 250 contre 200 avant covid, « grâce à un fort développement des TPE, notamment portées par la dynamique rhums et de nouveaux arrivants qui ont fait de leur passion leur métier », se félicite Jean-Pierre Cointreau. « C’est plutôt encourageant ». 

Ventes de spiritueux en grande distribution

Un CHR moins fréquenté, un contexte incertain à l’international
Le CHR (une bouteille vendue sur 10) est également en recul en 2023 (- 2% en volume pour 21,2 M l.) « même si on a quand-même réussi à retrouver notre niveau d’avant covid de 2019, ce qui prouve une certaine dynamique », se console Thomas Gauthier. « Mais les visites sont moins fréquentes, les consommateurs préférant limiter leurs dépenses plutôt que leurs habitudes de consommation ». 44 % des consommateurs déclarent néanmoins boire des spiritueux lors d’un repas décontracté, la seule occasion qui progresse (+14 points). Sur ce circuit, on enregistre toujours une hausse des spritz, des amers et des sans alcools (+28,1% à volumes moindres -136 K l.) Les liqueurs notamment le sureau, moteur de la croissance, et les gins en passe de dépasser les anisés en valeur, résistent bien.

À l’export après les bons résultats de 2022, le bilan est aussi en berne : - 13,2 % en volume, -12,2 % en valeur (406 M l. pour 4,8 Mds €) affectant surtout les deux principales zones d’expéditions que sont les Etats-Unis et l’Asie, les premiers continuant à consommer les stocks (- 35,3 % en volume), les seconds n’ayant pas redémarré après la crise sanitaire. « Mais on attend des progrès pour le second semestre 2024 » affirme Jean-Pierre Cointreau, même si le cognac, principale locomotive, reste à la peine (-21,12 %) tout comme les vodkas (- 21,6 %). « Nous sommes dans un climat d’incertitudes avec la perspective des élections américaines et dans l’attente de l’enquête antidumping de la Chine contre les eaux-de-vie de vin et marcs produites dans l’UE. Elle a impliqué un travail colossal de suivi notamment en Cognac et en Armagnac mais qui a montré notre bonne volonté ».

Dans les tiroirs
Pour l’avenir non moins incertain dans l’Hexagone, la FFS espère que les dossiers, bien avancés, de simplification agricole et d’évaluation de la loi Egalim avec préservation de la date de fin de négociation, suivront leurs cours ainsi que la simplification des procédures douanières et des petits producteurs d’alcool, des déclarations d’inventaire et la digitalisation de l’étiquetage. À remettre également sur la table, le problème des centrales européennes qui peuvent contourner les règles de la loi Egalim. En matière de consommation, la fédération, dans un contexte baissier permanent, entend se concentrer sur les comportements à risque avec des actions de sensibilisation, notamment dans le cadre du spiritourisme via des fascicules d’information dans les caveaux, et dans les bars pour la rentrée étudiante fin septembre. Des messages tels que « consommer modérément, profiter pleinement » seront diffusés une dizaine de jours sur des écrans publicitaires dans environ150 établissements fréquentés par les jeunes. 

L’empreinte globale du secteur en chiffres
La FFS a commandé à l’agence Utopies une étude sur l’empreinte globale socio-économique de la filière, première productrice de spiritueux de l’UE, pour mesurer l’impact des emplois directs, indirects et induits du secteur. Elle affiche donc en 2023 2,9 Mds € d’achats, 151 500 emplois (dont 11 000 emplois directs, 48 400 indirects) avec un PIB global de 17 Mds € dont 3,1 Mds € directs (chiffres 2022). La filière revendique le 5e poste de l’industrie française soit 8 % de l’agroalimentaire. Elle utilise 4 M t. de matières premières agricoles utilisées, dont près de la moitié sous forme de raisins. Si l’empreinte matière au global a peu évolué (-1 %), la filière a vu celle de l’énergie chuter de 16 % depuis 2017.