Mardi 3 Décembre 2024
Domaine du Dragon ©F. Hermine
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24.07.2024
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La musique adoucit les mœurs et peut-être aussi les vins. C’est le pari de Mir Nezam, le propriétaire du Domaine du Dragon à quelques rangées de ceps de Draguignan qui propose un Côtes-de-Provence rouge élevé en compagnie d’un violoncelle.
Mir Nezam n’a pas toujours été vigneron. C’est plutôt un choix de deuxième, et même de troisième vie. Le biochimiste généticien d’origine afghane a fait ses études en France avant de rentrer à Kaboul comme diplomate. A l’arrivée des Russes au début des années 1980, il s’exile et travaille pendant trente ans pour un grand laboratoire pharmaceutique entre Londres, la Californie, Paris et Sophia Antipolis. Il dirige la filière française puis choisit de rester dans le sud de la France. Il se met alors en quête d’une belle bastide provençale avec quelques vignes autour « pour s’occuper ». Mais il tombe amoureux en 2015 de ce grand domaine varois perché entre 220 et 450 mètres d’altitude. Il s’étire sur près de 70 hectares, dont 26 de vignes avec une vue panoramique qui embrasse la campagne environnante dracénoise.
Mir Nezam qui voit vite le potentiel de ce vignoble quelque peu délaissé décide donc de faire du vin qu’il estime être « un beau trait d’union entre deux passions, l’histoire et la poésie, et aussi parce que dans le village de mon père au nord de Kaboul, il n’y avait que des vignes et qu’il est de tradition perse, depuis des millénaires, d’aimer le vin et d’en produire ». Le nouveau propriétaire du Domaine du Dragon entreprend de restructurer la propriété, fait arracher les trop vieux cabernets sauvignons pour replanter rolles et grenaches, modernise la cuverie, investit à l’export (aujourd’hui plus de 50% en particulier aux Etats-Unis), offre un nouveau caveau au domaine qui accueille régulièrement des expositions, ouvre la propriété aux visites et à l’œnotourisme (avec un sentier de randonnée, deux gîtes, une salle pour événementiels, un fort médiéval en bois construit par le maître archer Patrick Adloff). La production est atypique dans ce coin de Provence verte avec seulement 50% de rosés, 40% de rouges et 10% de blancs. Mir Nezam tel un chef d’orchestre aime tout diriger avec comme principaux musiciens l’œnologue conseil Emmanuel Baugnet et le maître de chai Richard Grassi. C’est avec eux qu’il imagine une nouvelle cuvée à l’ADN pour le moins original.
Mir qui s’intéressait déjà aux vibrations de par sa formation tombe un jour sur un reportage au Japon dans lequel une note jouée au-dessus d’un plateau métallique recouvert de sable, provoque un mouvement ordonné des grains. « J’ai pensé que la musique pouvait avoir un impact similaire sur les vins, surtout les fréquences basses et pendant leur élevage. Car le vin est composé de milliers de molécules qui peuvent s’agencer de façon différente si les vibrations pénètrent dans le bois ». Le maître du Dragon prend conseil auprès de musicologues et d’experts qui lui suggèrent d’initier l’expérience avec le violoncelle « car ils pensaient que les notes les plus basses étaient plus pénétrantes et provoquaient davantage de réactions sur les molécules et les autres composants du vin comme les tanins, les sucres ou les acides ». Ce sera donc le solo pour violoncelle N°1 en sol majeur des suites de Bach interprété par Jean-Guihen Queyras. Mir Nezam demande son accord au musicien qui lui donne après avoir dégusté ses vins.
Son instrument a ainsi bercé nuit et jour pendant 18 mois le millésime 2020 de la cuvée Perle Noire en rouge élevé en barriques bordelaises après avoir au préalable passé deux ans en cuves béton. Les cépages en sélections parcellaires, 70% de syrah associée au cabernet sauvignon et au mourvèdre, ont été récoltés manuellement et vinifiés en cuves séparées. Pour lancer la commercialisation de cette rare Perle noire, un concert donné par le trio à cordes du conservatoire de Nice avec bien sûr en ouverture la fameuse suite de Bach, a été organisé sur la terrasse de la bastide, à l’ombre des platanes centenaires. La cuvée éditée à 10 000 bouteilles (27 €) est désormais disponible au caveau. « Et nous essaierons sans doute de renouveler l’expérience avec d’autres morceaux pour des vins uniques » promet Mir Nezam.
En le comparant aux millésimes 2016 et 2019 qui n’avaient bénéficié d’aucun accompagnement musical, force est de constater que le 2020 est plus profond sur des tanins plus veloutés. Il se développe sur des épices douces, une note poivrée et des arômes de fruits noirs. Une expérience sensorielle passionnante à découvrir dès cet été au domaine.
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