Dimanche 22 Décembre 2024
Photographies Julio Frangen
Auteur
Date
04.02.2017
Partager
Du vin en Serbie, cela vous parle ? Mal connues aujourd’hui dans nos verres, les vignes des Balkans sont pourtant issues d’une longue tradition historique et ont joué par moment un rôle majeur dans nos caves d’Europe occidentale. Nous sommes partis à la découverte du kadarka, cépage travaillé avec élégance et modernité par le domaine Tonkovic, en pleine région de Subotica à l’extrême nord du pays.
Le vin coule dans l’âme serbe depuis l’empire romain. Même si son histoire n’a pas été un long fleuve tranquille… Plantée massivement sous la dynastie moyenâgeuse Nemanjic (XIème siècle), la vigne serbe a longtemps eu une bonne réputation dans toute l’Europe. Avec un climat continental associé à de douces influences méditerranéennes, et des sols riches en minéraux, rien de plus normal. Une vigne qui a même alimenté d’autres vignobles plus occidentaux, lorsqu’ils en avaient besoin : la France et la Suisse (jusqu’à Bordeaux !) par exemple dans les années 1870, frappés par le phylloxera, ont largement puisé dans les vignes de Serbie, qui n’ont connu l’insecte ravageur que 30 ans plus tard…
Le vin en Serbie, toute une histoire
Une vigne, implantée depuis des siècles. Pourtant, elle n’échappera pas, in fine, au phylloxera. Puis, suivant le système productiviste-collectiviste, les embargos économiques successifs des années 1990 et la guerre civile, le vignoble serbe, autrefois source de richesse et d’exportation, voit chuter ses investissements et connaît une significative réduction de surface en peu de temps.
Plus que 70 000 hectares de vignes (800 000 en France) sur lesquelles, pourtant, de nombreux cépages s’épanouissent du nord au sud du pays. Depuis les années 2000, certains investisseurs, serbes ou étrangers, ont reconstruit chais et parcelles, avec un certain souci de préservation des sols, peut-être même un peu plus qu’ailleurs. Selon les données de Sud de France : « la Serbie est le pays qui utilise le moins de pesticides en Europe en agriculture, et une grande place est consacrée à l’agriculture biologique ».
Comme dans d’autres « anciens-nouveaux » vignobles (Grèce, Croatie, etc), le choix des cépages est ambivalent : internationaux d’une part (chardonnay, riesling, merlot, sauvignon, etc), mais également autochtones, témoins d’un patrimoine végétal millénaire. Parmi eux, le kadarka, un cépage à la peau noire qu’on appelle également « Gamza », « skadarka », « noir de Moselle » ou « mékish », rapporté selon la légende par les soldats ottomans, présent aussi en Autriche, Hongrie, Bulgarie, Roumanie, Croatie, ou encore Moldavie… Un roi des Balkans en somme.
Exigeant sur la nature de ses sols, il supporte mal les excès d’humidité : « Nous arrivons justement sur un ancien désert européen », explique Barbara Bacic, fondatrice des Robes de l’Est, entreprise importatrice de kadarka (entre autres) en France, et guide de cette escapade au nord de la Serbie.
Le kadarka des Tonkovic, entre tradition et modernité
C’est dans une propriété en plaine du Voïvodine, plus précisément dans la région Subotica à quelques kilomètres de la frontière hongroise, que nous découvrons le kadarka. Créé de toutes pièces il y a 10 ans par la famille Tonkovic, son histoire intrigue…. A l’origine, Miroslan et Gordana Tonkovic, les propriétaires, sont tout sauf vignerons : médecins réputés habitant entre Zagreb (Croatie) et Londres, ils possèdent plusieurs laboratoires pharmaceutiques à travers le monde. Quant au créateur du projet de vignoble, le père de Gordana, il n’était pas du tout viticulteur mais… directeur de zoo ! Après sa carrière au zoo de Palic, ville proche, il se passionne pour la vigne, et plus précisément pour le kadarka.
Dans la famille Tonkovic, une certitude s’impose : le vin « c’est comme la belle musique, c’est du plaisir avec les amis», expliquent-ils. Et un devoir de mémoire : reprendre et faire perpétuer la passion du père de Gordana (décédé fin 2016 après notre passage), et faire vivre la culture et la vinification du « kadarka », de plus en plus arraché dans cette région.
Ainsi, sur les sept hectares qui entourent le « salasa » (ranch traditionnel et lieu d’accueil pour les invités), les vignes du domaine Tonkovic creusent le sol sablonneux depuis dix ans. Déroutantes par leur plantation en double-pied et certains choix de culture comme un effeuillage total au printemps (afin de concentrer les baies), les vignes entourent le domaine d’un seul tenant.
Une collaboration européenne
« Dans le cadre de recherches européennes et de jumelages entre les vignobles de Serbie et d’autres appellations européennes lancés en 2007, mon père avait fait la rencontre d’un jeune œnologue espagnol, intéressé par le kadarka. Mon père ne parlait pas espagnol, l’œnologue, pas un mot de serbe… Allez savoir comment, ils ont réussi à s’entendre ! De là est né le projet de faire du vin ensemble en faisant des allers-retours », sourit Gordana Tonkovic.
On plante le kadarka à partir de cinq clones différents, volonté de préserver l’identité traditionnelle de la plante, et de continuer l’expérimentation végétale sur place. En 2009, vient le premier millésime. Pour marquer cette naissance, les Tonkovic décident d’en envoyer 40 bouteilles à l’archevêque ! Rien d’anormal pour le couple de médecins, qui rappellent que la tradition orthodoxe de la région, est de faire baptiser par le « pope » un nouveau millésime.
Tout en fraîcheur
« Fantazija », « Rapsodija » et « Icone »… Pour ces passionnés de musique, il était naturel de baptiser à leur tour les trois cuvées du domaine (entre 18 et 24 €), chacune avec une couleur mélodieuse différente. Très élégants dans le verre, on est surpris par la fraîcheur et le fruit des vins, associés à de structures tanniques assez denses. Parfois encore marqué par leur élevage en bois, ce sont bel et bien les fruits frais qui dominent : fraise écrasée, cerise noire, gelée de framboise. Soulignés par des épices en finale (poivre, tabac séché) et une étonnante acidité, laissant imaginer un potentiel de garde de quelques années en cave.
Les vins du domaine Tonkovic se dégustent et s’achètent dans de nombreuses caves de France : Latitude 20, Ma Cave à Vin ou encore La Ligne Rouge à Bordeaux, ou encore Soif D’ailleurs ou Robe du Vin à Paris, etc.
Articles liés