Jeudi 26 Décembre 2024
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23.05.2019
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Olivier Paul-Morandini est vigneron toscan mais pas seulement. Via son association TOWA (Transparency for Organic Wine Association), il milite activement pour davantage de transparence dans le vin en Europe, à commencer par le vin bio. Entretien.
En quelques mots, pouvez-vous nous présenter votre association ?
TOWA (Transparency for Organic Wine Association) est un collectif citoyen qui regroupe producteurs et consommateurs sous l’égide d’une communauté scientifique composée de biologistes, agronomes, toxicologues, médecins et juristes(1) et dont l’objectif est de responsabiliser non seulement ces producteurs et consommateurs mais aussi les acteurs industriels et bien sûr les politiques à vaquer vers des modèles respectueux de l’environnement en protégeant la vie sous toutes ses formes. Notre communauté scientifique défend une certaine idée de la société telle qu’elle devrait être, s’opposant à une communauté scientifique industrielle qui alimente une foi béate sur ce qu’on appelait le progrès ou aujourd’hui l’innovation, pensant que les pesticides de Monsanto, Bayer et compagnie résoudront, portés par des slogans retentissants, les problèmes de l’humanité… Mais beaucoup de scientifiques et politiques s’arrangent de croire à cela.
Est-ce un combat pour le bio à tout prix ?
On peut se poser la question. Le bio serait-il la seule solution d’avenir ou doit-on encore faire place au chimique, ce que l’on cache sous le nom politiquement correct de « conventionnel » ? L’accès à la transparence dans le vin bio agit comme levier vers un objectif plus global et plus urgent qui est de demander une transition massive vers l’agriculture biologique en présentant une politique ambitieuse qui permette d’accompagner les opérateurs agricoles mais aussi la recherche et s’assurer que cette transition ne fragilise pas davantage le monde agricole/viticole. À ce jour, différents groupements de vignerons (Renaissance des Appellations, Vinatur, Biodyvin, Loire Vin Bio, Vignaioli Artigiani Naturali, Raw Wine) ont adhéré à TOWA et nous représentons aujourd’hui aux alentours de 1200 domaines viticoles bio au sein de 15 États membres. Notre action se situe au sein des institutions européennes car le secteur de l’agriculture est une compétence partagée entre l’UE et les États membres. Nous avons fédéré les principaux groupes politiques pour lesquels des députés ont co-signé une lettre adressée à la Commission européenne demandant de prendre en considération notre demande et offrant notre expertise pour l’y accompagner.
Comment l’association est-elle financée ?
TOWA ne reçoit aucun subside, j’aime trop la liberté de parole pour la compromettre. Les gens qui rejoignent la cellule opérationnelle contribuent à leur manière pour permettre de faire avancer notre action et sur la base du bénévolat.
A qui faites-vous face ?
L’affaire « Sébastien David »(2) nous montre le décalage entre le prisme que prend l’administration nationale (mais aussi au niveau européen) à jeter le discrédit sur des vignerons qui se sont engagés dans une démarche vertueuse et le véritable problème du conventionnel pour lequel la préfète d’Indre et Loire, Corinne Orzechowski nous expliquera sans doute un jour par quelle formule magique elle classe l’acidité volatile prioritaire face aux 9 molécules fréquemment identifiées dans l’analyse que nous avons menée avec Michèle Rivasi en mars dernier et classées CMR/Perturbateurs endocriniens. Une logique qui marche sur la tête ! Qu’on s’entende bien, je ne parle pas de goût entre un vin bio et un vin conventionnel, cet aspect ne peut pas être dicté par une réglementation. Chaque consommateur doit jouir de la liberté de se construire son propre goût. Il ne s’agit que d’adopter un prisme de transparence afin de pouvoir mesurer les aspects qualitatifs du produit fini vin.
Aujourd’hui, face à un appareil politique qui compte une armée de plus de 700 élus et les fonctionnaires qui vont avec, le système a atteint un niveau d’obésité qui l’empêche de se mouvoir, d’être réactif, d’anticiper ou d’être visionnaire… Osons regarder en face un système qui coûte une fortune par rapport à son niveau d’efficacité. Et s’il y a un chiffre à retenir c’est 30.000 fonctionnaires européens à Bruxelles et autant de lobbyistes dont 2.000 pour la seule question agricole…
LIRE AUSSI – Vin Bio : l’Union européenne a le nez dans la levure
Pourquoi militez-vous pour cette règle de transparence ?
Les groupes de pression liés à l’alcool (pas seulement le vin) ont réussi à maintenir les boissons au-delà de 1,2% de volume d’alcool comme produit non-alimentaire et donc non soumis à la composition des ingrédients sur une étiquette. Il faut bien comprendre que moins le consommateur a accès à l’information, moins il est capable de l’intégrer ou de la remettre en question. Parallèlement, les lobbies s’affairent à baisser le cahier des charges au niveau cultural et de vinification. De 46 intrants autorisés dans la vinification du vin bio, nous sommes passés en novembre dernier à 52, dans le plus grand silence car seule la Commission européenne décide avec les experts nationaux, pas de procédure d’amendements possible ici ! Sournoisement, l’industrie qui a la capacité d’achalander les marchés de masse et a bien perçu le potentiel du bio, s’évertue à appauvrir ce dernier pour en retirer les marges bénéficiaires plus attrayantes… Et à côté, des milliers de vignerons vertueux en Europe se sont désolidarisés tant du cahier de charge bio en vigueur que de l’arsenal de logos apparentés… Et le consommateur n’y comprend plus rien !
Alors, à l’heure des élections, que peut faire le simple consommateur de vin et citoyen qui, accessoirement, déguste et vote ?
À l’approche de cette échéance, nous avons des soutiens qui représentent la grosse majorité des groupes politiques du Parlement européen. Mais ces soutiens ne sont pas une finalité : c’est un intérêt écrit qui nous permet, une fois le collège de Commissaires mis en place, de revenir auprès de ceux-ci et d’œuvrer pour les impliquer dans les décisions, règlements et directives futurs. Rappelons que l’on part d’un constat de niveau de démocratie alarmant sur la décision du glyphosate où l’EFSA (organe de la Commission européenne censée formuler – en toute indépendance, est-il nécessaire de le rappeler – « des conseils scientifiques pour protéger les consommateurs, les animaux et l’environnement des risques associés à l’alimentation ») est condamnée par le Tribunal de l’Union Européenne le 7 mars 2019 pour avoir privilégié l’intérêt économique de groupes comme Monsanto ou Bayer au détriment de l’intérêt environnemental. Étant donné que le président de la Commission est désigné et non élu, espérons que le prochain casting désignera cette fois-ci une personnalité à la hauteur des enjeux. Car l’époque Jacques Delors (l’époque d’une Europe politique) semble bien lointaine… Les attentes pour une société plus en cohérence ne passera, selon moi, que par l’implication citoyenne pour aider le politique à écrire la société dans laquelle nous souhaitons voir évoluer les générations qui vont nous suivre.
(1) Professeur André Cicolella – Président de Réseau Environnement Santé-, Claude & Lydia Bourguignon, Gilles-Eric Séralini, Patrizia Gentilini, Luc Lonlas, Jean-François Harlet, Théodore Georgopoulos.
(2) Sébastien David est un vigneron d’Indre-et-Loire sommé de détruire sa production de vin par arrêté préfectoral pour une teneur en acide trop élevée. Une pétition soutenant le viticulteur rassemble plus de 150 000 signataires.
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