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[Vinitech-Sifel] S’adapter aux nouveaux consommateurs

Jean-Marie Cardebat

Jean-Marie Cardebat est maître de conférences à l’université de Bordeaux-Montesquieu et professeur affilié à l’Inseec Grande École ©Equivox

Auteur

Julia
Bouchet

Date

27.11.2024

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Face à la crise viticole actuelle, marquée par une chute de la consommation et un excédent de production, les négociants et viticulteurs cherchent des solutions pour vendre leur vin de manière plus efficace et répondre aux attentes changeantes des consommateurs. Le secteur viticole doit adapter ses stratégies de vente et mieux comprendre qui sont les consommateurs d’aujourd’hui. Comment transformer cette crise en opportunité ? Jean-Marie Cardebat, maître de conférences à l’université de Bordeaux-Montesquieu et professeur affilié à l’Inseec Grande École, propose quelques pistes de réflexion.

Comment faire face à la crise actuelle du vin ?

En réalité, la situation est contrastée : certains producteurs vendent bien, d’autres peinent à écouler leurs stocks. Une prise de conscience s’impose de toute façon. Il existe de nombreuses réponses possibles. Selon les caractéristiques de chacun – taille, niveau de gamme, segmentation du marché, prix –, les approches commerciales diffèrent. Il n’y a pas de réponse unique.

Mais si on tente de trouver des leviers et des constantes, qu’est-ce qu’il est possible de changer ?

La première chose à considérer est la gamme de produits. La viticulture française se distingue souvent par des gammes extrêmement étroites, parfois limitées à une seule référence. Cela ne répond plus aux attentes du consommateur, qui, à un moment donné, peut être séduit par une marque, un vigneron, mais qui va se lasser de consommer toujours le même produit. Il faut lui proposer de la diversité, avec une gamme étendue, idéalement au-delà de 20 à 25 références. Pour élargir sa gamme, il existe des astuces : vendre le même vin dans différents contenants ou isoler des parcelles pour créer des cuvées spéciales. Il y a cette idée mécanique dans le marketing que si je propose 20 références, je vais en vendre 2, 7 ou 12. Si je n’en propose qu’une, je n’en vendrai qu’une (ou pas). On peut tout avoir dans une gamme : le conventionnel, le bio, le naturel, toutes les couleurs, et même le no-low… Plus le consommateur est confronté à une diversité de choix, plus il sera enclin à acheter.

Faut-il s’adapter forcément à la demande du marché ?

Absolument. Aujourd’hui, le marché demande moins de vin rouge et plus de variétés alternatives. À Bordeaux, par exemple, on voit émerger des vins pétillants blancs à partir de cépages rouges comme le merlot, répondant aux attentes des consommateurs. Il est essentiel d’adapter le produit au client, même si cela reste tabou ou une hérésie pour certains. Quand les rouges ne se vendent pas, il faut produire ce qui se vend.

La France a-t-elle intégré la notion de « moment de consommation » ?

Oui et non. Il faut segmenter la gamme pour qu’elle réponde à chaque moment de consommation et type de consommateur. On connaît déjà l’apéritif, le repas – que ce soit au coin du feu, autour d’un barbecue ou sur une plage –, puis les afters et les nuits, mais on peut aller plus loin. Par exemple que le vin devienne un rafraîchissement donc réfléchir à son degré d’alcool jusqu’à aller à 0 alcool comme le fait la bière, qui est disponible maintenant même dans les salles de sport, où elle est présente pour se rafraîchir. Évidemment, un petit viticulteur avec ces 10 hectares de vignes ne va pas se lancer dans ce genre de stratégie, ça ne lui est pas adressé. Mais le négociant qui peut fabriquer lui-même du vin est en fait un marchand de boisson et doit réfléchir à ces moments de consommation. La Sanpellegrino est aujourd’hui extrêmement bue lors des déjeuners d’affaires, on pourrait très bien imaginer avoir des vins qui viennent la concurrencer, mais ce serait un sans-alcool et ça reste aussi une hérésie pour certains. Il faut vraiment penser au fait que tous les moments doivent être représentés. Ceux qui pouvaient faire du thé, par exemple, en sont venus à faire des « ice tea » aux saveurs différentes, alors que le thé avant, c’était plutôt réservé aux dames d’un certain âge, si je caricature un peu.

Il y a aussi une réflexion possible sur l’adaptation du contenant ? 

Il faut prendre en compte l’aspect environnemental et à la fois en profiter pour faire quelque chose sur lequel vous margez plus et quelque chose de plus jeune et plus sexy pour toucher une clientèle nouvelle. La famille monoparentale, par exemple, n’est pas prise en compte aujourd’hui. Qui va ouvrir une bouteille de 75 cl quand il est tout seul ? Cela renvoie d'ailleurs presque à l’image de soi. Donc, pourquoi ne pas proposer des contenants à 15 cl, 20 ou 33… Là aussi, on repart sur les codes de la bière, qui a beaucoup imité le vin au départ. On prenait tous les codes du vin, en les adaptant aux craft beers. Il est temps d’avoir une contre-réaction stratégique et d’aller rechercher des nouveaux codes. J’entends souvent dire que le consommateur français est très attaché à la bouteille de 75 cl et qu’il n’est pas mûr pour les autres contenants. Mais a-t-il beaucoup le choix en supermarché en dehors des cubis, des bouteilles en plastique de 1,5 l ou des minibouteilles de vin de cuisine. Quand les rosés de Provence ont sorti leurs 70 000 canettes en édition limitée, tout s’est vendu dans les bars de plage, parce que ça a été marketé intelligemment. Il n’y a donc pas un contenant unique en France, mais il faut s’en donner les moyens et notamment au niveau du marketing.

Il faut donc quand même une capacité d’investissement de la part des vignerons…

Oui, renouveler les types de contenants et d’alcools demande des investissements importants et des campagnes de communication subtiles pour contourner les restrictions de la loi Évin. L’intelligence artificielle peut aussi jouer un rôle clé en aidant à segmenter le marché, cibler et suivre les clients avec l’IA prédictive, et personnaliser les messages avec l’IA générative.

Quels sont les marchés pour les vins labellisés et naturels ?

Le bio est loin d’être terminé et devient de plus en plus la norme. Beaucoup de jeunes consommateurs attendent que le vin soit bio. Cela fait partie de la segmentation du marché, comme la biodynamie, il y a une clientèle qui attend ça. Pour certains, c’est même une condition nécessaire. De même, les vins nature ont une cible commerciale spécifique et font partie intégrante de l’art de la segmentation du marché.

Est-ce que proposer une trop grande variété peut aussi être contre-productif ?

Certains viticulteurs réussiront avec une gamme limitée et une clientèle fidèle, mais 100 % du marché ne peut pas fonctionner ainsi. Ceux sans lien direct avec les consommateurs doivent se battre avec des stratégies de marketing et une gamme étendue pour rester compétitifs.

Comment voyez-vous l’évolution du marché viticole à l’avenir ?

Le marché du vin ne sera jamais unique mais diversifié. Les proportions de chaque segment sont en train d’évoluer, et la concentration du marché est inévitable avec les gagnants absorbant les perdants. La clé sera d'innover et de s’adapter continuellement aux attentes des consommateurs. En conclusion, pour surmonter la crise actuelle, le secteur viticole doit diversifier ses offres, adapter ses produits aux nouvelles attentes et investir dans des stratégies marketing efficaces. L’innovation, l’adaptation et la segmentation du marché seront les maîtres mots pour un avenir prometteur.