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Bulles des villes, bulles des champs

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La suite de Loisium, hôtel dans les vignes en Champagne ©LOISIUM

Auteur

Yves
Tesson

Date

30.03.2025

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Alors que le top 100 des trophées de l'œnotourisme vient d'être révélé, Terre de Vins vous propose un focus sur deux nouvelles offres hôtelières, inaugurées il y a trois ans à peine, et qui illustrent la diversité des approches que l'on peut désormais avoir en Champagne.

La Champagne a connu un véritable boom de l'offre oenotouristique depuis son inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO, avec des offres qui permettent d'explorer l'appellation sous toutes ses facettes, que ce soit en pleine nature, au plus près des vignes, ou dans l'intimité des hôtels particuliers de la grande bourgeoisie rémoise. 2022 avait ainsi vu deux nouvelles offres ambitieuses voir le jour aux concepts radicalement différents, l'hôtel Loisium à Mutigny, et la Résidence Eisenhower à Reims du groupe EPI (Charles Heidsieck, Piper-Heidsieck, Rare Champagne).

L'hôtel Loisium ou le combat d'un homme

L'hôtel Loisium est le fruit de la ténacité de l’ancien délégué CGT des ouvriers du champagne, Bernard Beaulieu. Pendant toute sa carrière, ce syndicaliste sans peur et sans reproche s’est battu pour défendre la convention collective des cavistes, aujourd’hui l’une des plus généreuses. Ses supérieurs lui ont proposé à plusieurs reprises des postes de cadre qu’il a toujours refusés pour ne pas trahir.

En 1995, lorsqu’il devient maire de son village, il est hors de question pour cet hyperactif de se borner à inaugurer les chrysanthèmes. « Je me sentais redevable vis-à-vis de cette Champagne qui m’avait fait vivre pendant tant d’années. Je cherchais une idée. » Dans ce village au bout du monde, perché sur un monticule, impossible d’envisager une activité industrielle, même à petite échelle, faute de foncier disponible. On ne pouvait pas non plus toucher à la forêt qu’il fallait sauvegarder, et le reste était planté de vignes. Au cours d’un déjeuner, le patron de Bollinger lui suggère de suivre l’exemple de Caudalie, dans le Bordelais : un projet hôtelier centré sur le vin. De son côté, Bernard Beaulieu est convaincu que le tourisme dans les caves, où le travail s’est industrialisé, n’a plus d’avenir, alors que dans les vignes, où les Champenois n’emmènent jamais les visiteurs, les viticulteurs ont gardé une approche artisanale. C’est ce qui l’amène en 2000 à lancer le « Sentier du vigneron ». Installer un hôtel immergé au milieu des vignes s’inscrirait dans la même démarche.

©Loisium

Le maire se met en quête d’un lieu. Ce sera l’ancienne sapinière. Il convainc plusieurs maisons de céder leurs lopins – alors que certaines tablaient sur la révision de l’appellation pour y planter des vignes – et commande aussi une étude sur la rentabilité du projet. À l’époque, personne ne croit au potentiel touristique de la Champagne, même les grandes maisons. Il suffit pour cela de se remémorer les difficultés rencontrées par Pierre Cheval pour entraîner la profession dans le classement au patrimoine mondial. L’enquête, qui réalise un inventaire de ce qui se pratique dans les autres vignobles du monde, se montre pourtant très optimiste à condition que l’offre soit à la hauteur de l’image de luxe que véhi- cule la Champagne.

©Loisium

Bernard Beaulieu trouve un investisseur, un Bordelais. Mais la foudre tombe. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) réalise une étude à la demande du préfet de région et conclut que, dans les villages champenois en haut de coteau, il existe trop de risques de glissements de terrain et qu’il n’y aura désormais plus d’autorisation de constructions. « Nos amis bordelais se retirent. Et moi, je me retrouve avec 17 500 m2 d’une zone inconstructible ! Je prends contact avec le patron du BRGM, qui quittait la région. Il m’informe que l’État ne lui a pas donné les finances pour mener une véritable étude et qu’elle a été confiée à des stagiaires. Je décide de me battre et j’en commande une autre à un cabinet de Gap. Elle constate que le terrain se trouvant dans une zone où la pente est inférieure à 5 %, il ne peut y avoir de risques. La DDT (Direction départementale des territoires) me demande ensuite une étude complémentaire sur le ruissellement des eaux. Finalement, j’obtiens gain de cause et ils sont obligés de valider. » La nouvelle fait grand bruit et pousse les autres maires dans la même situation à mener une action. Côté investisseurs, Bernard Beaulieu connaît encore plusieurs déconvenues (les groupes hôteliers Maranatha et Marugal) avant de découvrir lors d’un voyage en Alsace l’approche hôtelière du groupe autrichien Loisium. Intéressé par sa proposition en Champagne, celui-ci reprend le même projet dessiné par le cabinet Jouin-Manku qu’avait mandaté Maranatha mais en y apportant sa signature (cui- sine ouverte, nombre de chambres plus important, patio...). Il faut encore trouver d’autres associés. Il y aura de jolis coups de pouce du destin. Lors de la venue de François Hollande à la Foire de Châlons, ses collègues cégétistes manifestent. Le président leur suggère plutôt de lui soumettre des idées d’investissement. Il leur présente le représentant de la Banque postale qui cherche justement en vain des projets à soutenir en Champagne. Ils lui font part du projet de Mutigny...

©Loisium

Les 27 millions nécessaires finissent par être réunis et l’hôtel ouvre enfin ses portes le 1er août 2022. Le complexe compte 101 chambres, un spa, un restaurant bistronomique, un restaurant gastronomique, une piscine en plein air, des salles de séminaire et une cave regroupant 4 000 cuvées différentes de champagne ! Le tout perdu en pleine nature, dans un tout petit village de 190 habitants, loin des grands axes touristiques et magnifiquement fondu dans le paysage entre la forêtet les vignes sur les hauteurs du sud de la Montagne de Reims. Le concept pouvait faire peur, mais le besoin de nature de l’après-Covid semble désormais lui donner raison.

La résidence Eisenhower, la petite folie du groupe EPI

Alors que cette première offre a fait le choix d’une architecture contemporaine et d’une implantation au beau milieu des coteaux, celle inaugurée en avril par le groupe EPI (Charles Heidsieck, Piper-Heidsieck, Rare Champagne) vous plongera davantage dans l’univers de l’ancienne grande bourgeoisie champenoise au cœur de Reims, la capitale du négoce. Ainsi, la « Résidence Eisenhower » a été installée sur le boulevard Lundy, dans une demeure de style néo-Louis XVI chargée d’histoire. La bâtisse a été construite en 1911 par la famille Mignot, créatrice des Comptoirs français et pionnière du succursalisme. Pendant la Seconde Guerre mondiale, à l’arrivée des Américains, l’hôtel particulier et son personnel sont mis à la disposition du général Eisenhower, qui y séjourna de février à mai 1945. La véritable reddition des Alle- mands n’eut pas lieu le 8 mai à Berlin, mais le 7 mai à Reims, et c’est de l’hôtel Mignot que le général appela le président Roosevelt afin de lui confirmer la nouvelle. On procéda à une seconde reddition le 8 mai pour ne pas froisser les Soviétiques.

Christopher Descours, le président d’EPI, cherchait depuis longtemps un lieu d’accueil. « Il avait déjà regardé beaucoup de choses, il en avait même acheté et revendu. Un jour, il est passé devant cet hôtel qui l’a interpellé. Il n’était cependant pas à vendre. Divisé en différents appartements, il a fallu convaincre les nombreux propriétaires » raconte Damien Lafaurie, le président du pôle vins du groupe.
Restauré par le cabinet Chatillon Architectes, à qui l’on doit la ré- surrection des halles du Boulingrin toutes proches, l’ensemble comprend huit chambres (à partir de 350 € la nuit), une salle de bal, un espace de dégustation dans la cave, une bibliothèque, des vitraux Art déco... Le travail des compagnons qui ont reconstitué les boiseries est époustouflant. Même l’ancien ascenseur, avec sa cabine en bois et sa grille en fer forgé, est toujours fonctionnel : l’hôtel, à l’époque déjà doté de stores électriques, était en effet à la pointe du confort moderne !

Résidence Eisenhower.
Cet ancien hôtel particulier a reçu le général Dwight David Eisenhower (1890-1969) aux jours de délivrance de la Seconde guerre mondiale ©DR

Quant à la vocation du lieu, elle poursuit plusieurs objectifs : « Nous avions constaté qu’il existait dans la région une problématique d’offre. On observe depuis quelques années un appétit pour les très belles bouteilles de champagne, les vins de collection, nous avions besoin d’outils à la hauteur pour recevoir cette clientèle. L’objectif est de faire du sur-mesure, avec des propositions qui pourront inclure par exemple un repas gastronomique à la maison Rare Champagne. Cette résidence est une manière d’ouvrir pour la première fois au public nos maisons. Mais le lieu doit aussi être une porte d’entrée sur la Champagne et son terroir. Nous ne sommes pas dans une logique exclusive, nous espérons recevoir des passionnés de vins qui iront également visiter d’autres domaines. Ainsi, dans la cave, vous trouverez à côté de nos cuvées des champagnes d’amis vignerons. Enfin, la résidence doit rester une maison de famille. Cela va dans le sens de cette approche personnalisée, différente de celle d’un hôtel. Nous avons par exemple notre maîtresse de maison. »